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de ce problème, doit tenir le premier rang. La dynamique, qui traite des forces et du mouvement comme effet des forces, doit, par un principe convenable, se rattacher à la statique. Cette méthode, appuyée sur l’autorité de Lagrange, de Poinsot, de Duhamel et de bien d’autres, est aujourd’hui sérieusement contestée. Des physiciens éminents prétendent que le problème de l’équilibre n’est qu’un cas particulier du problème du mouvement, et qu’en bonne logique on doit non pas déduire la dynamique de la statique, mais tout au contraire fonder la statique sur la dynamique. Un tel désaccord est grave assurément ; on pourrait pourtant citer des divergences d’opinion encore plus radicales. On me cite un auteur estimable qui prétend que l’idée de force ne doit pas trouver place en mécanique et qui a écrit tout un traité dans lequel le mot force n’est pas une seule fois employé.

Il semble qu’on puisse échapper à tout embarras en se plaçant à un point de vue strictement historique. Ce n’est là malheureusement qu’une apparence. Un historien ne peut pas tout dire. Il est contraint de s’attacher à ce qui est important. Comment faire si les plus habiles discutent sur l’importance des principes ? Par exemple, si le principe des vitesses virtuelles est le point essentiel et comme le nœud de la science tout entière, il ne faut épargner aucune peine pour en découvrir l’origine. Mais, si par hasard le même principe n’est qu’une pure subtilité, il faut le présenter comme l’invention bizarre de quelques esprits puissants qui, par suite d’habitudes trop exclusivement mathématiques, se sont abusés sur le vrai caractère de la science. Ainsi, le point de vue historique, outre les difficultés qui lui sont propres, participe presque à toutes les difficultés du point de vue logique.

De tout ce qui précède, nous pouvons conclure que, dans l’état actuel des études scientifiques, l’histoire des principes de la mécanique était aussi nécessaire à connaître que difficile à écrire. Nous ne savons vraiment qui nous devons le plus féliciter, ou la Faculté de philosophie de l’Université de Göttingue, qui a mis au concours ce grand sujet, ou le docteur Dühring, qui s’est senti assez de force et de courage pour l’entreprendre.

Tout travail historique suppose comme préliminaire indispensable une étude critique sur les textes. Quand il s’agit d’histoire de la mécanique, une pareille étude comporte de prodigieuses difficultés ; je ne parle point de l’embarras en quelque sorte matériel qu’on éprouve à lire dans quatre ou cinq langues une multitude d’ouvrages souvent manuscrits, souvent très-rares, presque toujours obscurs de parti pris. Mais depuis trois siècles la manière de rédiger les mathématiques a tellement varié, que la lecture de chaque auteur demande une sorte d’initiation. Je tiens à rappeler ce fait très-connu avant d’exprimer, non pas une critique, mais un regret : le docteur Dühring s’est montré bien sobre d’indications bibliographiques ; le public sera d’autant plus sensible à cette lacune que les écrivains allemands l’ont habitué à une netteté d’informations en ce genre qui approche presque toujours de la