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analyses. — dühring. Kritische Geschichte der Mechanik.

ne veux pas dire que les jugements d’un esprit vaste et puissant comme le docteur Dühring soient en eux-mêmes dépourvus d’intérêt. Mais un ensemble de tels jugements n’appartient plus à l’histoire. Ils font partie de la polémique contemporaine. On ne saurait en aborder l’étude sans engager des controverses dogmatiques qui seraient assurément assez mal placées dans un simple compte rendu analytique et que je veux m’interdire absolument.

Les lecteurs de la Revue me pardonneraient difficilement si je ne leur faisais pas connaître au moins en quelques mots les principes, les vues philosophiques d’un auteur dont les ouvrages seront lus dans toute l’Europe. Je puis d’autant plus aisément les satisfaire que, dans quelques chapitres spéciaux, Dühring a traité de l’influence des idées philosophiques sur le développement de la science dont il écrit l’histoire. Il me semble qu’en général notre auteur n’aime pas la métaphysique. Il parle non-seulement de Descartes et de Bacon, mais même de Kant, avec une liberté qui touche souvent au dédain, dans des termes qui étonneront en France et qui doivent choquer bien des personnes en Allemagne. Ses préférences me paraissent être pour D. Hume et pour ses successeurs. Je n’ai nulle intention de discuter cette préférence. Je ferai seulement observer ceci : Quelque part, si je me trompe, le docteur Dühring fait un mérite à Lagrange d’être resté indépendant de tout engagement métaphysique ; je m’associe de grand cœur à cet éloge, mais je me demande si c’est être libre de tout engagement métaphysique que d’avoir une secrète tendresse pour le système de D. Hume.

Je dois dire en terminant que le docteur Dühring est un écrivain fier et sans complaisance. Il écrit pour ceux qui peuvent le lire ; des autres il n’a nul souci. Son livre ne se laisse pas parcourir. Il faut l’étudier ou le laisser là. Mais ceux qui le liront ne s’en tiendront pas à une première lecture ; ils trouveront sans cesse à puiser dans cet ouvrage, d’une portée vraiment extraordinaire.

T.-V. Charpentier,