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stuart mill.fragments inédits sur le socialisme

La plus grande différence entre les forces motrices, sous le régime de la propriété privée et sous celui du communisme, porte sur la question de la direction. Dans le système actuel, la direction réside entièrement dans les mains des personnes qui possèdent le capital ou qui en sont personnellement responsables. Tout le profit de la différence entre la meilleure et la pire administration des affaires revient aux personnes qui les dirigent : ce sont elles qui recueillent tout le bénéfice d’une bonne gestion, à moins que leur intérêt ou leur libéralité ne les engage à en faire part à leurs subordonnés ; seules, aussi, elles supportent tout le dommage d’une gestion mauvaise, à moins que la gestion ne soit si mauvaise qu’elle les mette dans l’impossibilité d’employer du travail par la suite. Il y a, dans cette situation, un motif personnel puissant à faire le mieux possible et à tenter les derniers efforts pour rendre les opérations industrielles productives et économiques. Le motif n’existerait pas sous le régime du communisme, puisque des gérants recevraient seulement, comme leur part du produit, le même dividende que les autres membres de l’association. Il resterait d’autres motifs : d’abord l’intérêt commun à tous que les affaires soient gérées de telle sorte que le dividende devienne le plus grand possible, et ensuite les inspirations de l’amour du bien public, de la conscience, de l’honneur et de la gloire des gérants. La force de ces motifs, surtout quand ils opèrent de concert, est considérable, mais elle varie beaucoup suivant les personnes, et elle se montre beaucoup plus grande pour certains objets que pour d’autres. L’expérience nous enseigne que, au degré encore inférieur de culture morale que l’homme n’a point dépassé, les impulsions de la conscience, de la gloire et de la réputation, lors même qu’elles ont de la force, se trouvent la plupart du temps bien plus puissantes pour retenir que pour pousser. On peut compter davantage sur elles pour empêcher le mal que pour mettre en jeu toute l’activité de l’homme dans l’accomplissement des occupations ordinaires. Pour la plupart des hommes, le seul motif assez constant et assez persistant pour vaincre l’influence toujours présente de l’indolence et de l’amour du bien-être, pour induire les hommes à s’attacher sans relâche à un travail presque toujours fatigant et sans attrait, c’est la perspective d’améliorer leur propre Condition économique et celle de leur famille. Plus ce motif est dominant, plus devient étroit le rapport qui unit tout accroissement d’effort avec un accroissement correspondant de ses fruits. Supposer le contraire, ce serait admettre implicitement que, avec les hommes tels qu’ils sont actuellement, le devoir et l’honneur sont de plus puissants motifs que l’intérêt personnel, non-seulement pour provo-