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stuart mill.fragments inédits sur le socialisme

l’a jamais été, à la domination de l’autorité publique ; il y aurait moins de place pour le développement du caractère individuel et des préférences individuelles qu’il n’en a été accordé jusqu’ici, dans aucun État compris dans la portion progressive de la famille humaine, aux individus en pleine possession de droits civiques. Déjà, dans toutes les sociétés, la compression de l’individu par la majorité est un grand mal, et un mal qui ne cesse de croître : elle deviendrait probablement encore plus grande sous le régime du communisme, à moins qu’il ne fût au pouvoir de l’individu de la restreindre, en gardant la liberté d’appartenir à une communauté de personnes de même esprit que lui-même.

Les diverses considérations que je présente n’ont pas pour but de faire conclure que le régime communiste de production ne saurait être dans l’avenir la forme sociale la mieux adaptée aux besoins et à la condition du genre humain. C’est une question, selon moi, qui demeure et qui demeurera longtemps pendante. L’épreuve qu’on pourra faire des principes communistes dans des circonstances favorables, et les améliorations qui s’effectueront graduellement dans le fonctionnement du système actuel, c’est-à-dire dans le régime de la propriété privée, jetteront sans cesse sur cette question une nouvelle lumière. La seule chose certaine, c’est que, pour réussir, le communisme a besoin d’une éducation intellectuelle et morale supérieure chez les membres de la société : morale, pour les mettre en état de jouer leur rôle honnêtement et vaillamment dans le travail de la vie, sans autre motif que la part qu’ils prennent à l’intérêt général de l’association et le sentiment de leur devoir et de leur sympathie pour elle ; intellectuelle, pour les rendre capables d’apprécier les intérêts lointains et de tenir au moins assez de compte de considérations compliquées pour être à même de distinguer en ces sortes d’affaires un bon conseil d’un mauvais. Or, je me refuse absolument à admettre que l’éducation et la culture intellectuelle impliquée dans ces aptitudes ne puissent jamais devenir le partage de chacun des membres de la nation ; mais je suis convaincu que cette transformation est très-difficile, et que l’état actuel ne fera place à l’état nouveau qu’avec une grande lenteur. J’admets que, sur les points de l’éducation morale d’où dépend le succès du communisme, l’état actuel de la société est démoralisant, et qu’une association communiste seule peut dresser efficacement les hommes pour le communisme. C’est donc au communisme à prouver par expérience pratique qu’il est capable de donner cette éducation. Il n’y a que des expériences qui puissent montrer s’il existe déjà, dans une partie de la population, un niveau assez élevé de culture morale pour faire réussir le communisme et