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pour eux il y a lieu à suivre, et que certains d’entre eux peuvent réclamer la préférence sur l’ordre de choses existant. Toutefois, ils ne sauraient pour le moment être mis en pratique par l’élite de l’humanité, et il leur appartient de prouver qu’ils sont à même de conduire par l’éducation les masses des hommes à l’état d’amélioration qu’ils présupposent. À plus forte raison peut-on parler ainsi du plus ambitieux de tous les systèmes, celui qui prétend prendre possession de la totalité du sol et du capital du pays et se mettre à l’administrer d’ores et déjà pour le compte du public. Sans parler de l’injustice qu’on ferait par là subir aux possesseurs actuels, l’idée seule de confier la direction de l’industrie totale d’un pays à une agence centrale unique paraît tellement chimérique, que personne n’ose proposer une manière de la mettre en pratique. Si les socialistes révolutionnaires atteignaient leur but immédiat, et s’ils tenaient en leur pouvoir toute la propriété du pays, on ne peut guère douter qu’ils ne verraient d’autre moyen praticable de la régir que de la diviser en parties dont chacune serait déléguée à l’administration d’une petite communauté socialiste. On jetterait de côté le problème de la gérance, que nous avons trouvé si difficile même pour une population choisie et bien préparée d’avance, et on l’abandonnerait, pour être résolu le mieux possible, à des agrégats unis par localité, ou pris indistinctement dans la population, y compris les malfaiteurs, les oisifs, les gens les plus vicieux, les plus incapables d’un effort continu de pensée ou d’empire sur soi-même, enfin une majorité qui sans être aussi dégradée est encore, dans l’opinion des socialistes eux-mêmes, dépourvue des qualités essentielles au succès du socialisme et profondément démoralisée par l’état actuel de la société. On resterait au-dessous delà vérité en disant que, si le socialisme faisait son entrée en scène dans ces conditions, il n’aboutirait qu’à un échec désastreux ; et que ses apôtres n’auraient qu’une consolation, celle de penser que l’ordre actuel de la société aurait péri le premier, et que les gens qui en profitent auraient été enveloppés dans la ruine commune : consolation réelle sans doute pour quelques socialistes, car, à en juger par les apparences, le principe qui inspire un trop grand nombre de socialistes révolutionnaires est la haine, haine trop excusable des maux présents, qui se donnerait carrière en mettant fin à tout prix au système actuel, dût-on sacrifier en même temps ceux qui en souffrent, dans l’espoir que du chaos naîtra ce monde meilleur qu’on ne saurait se résigner à attendre d’un progrès plus lent. Ils ignorent que le chaos est le point de départ le plus défavorable pour la construction d’un monde, et qu’après le chaos doivent venir des siècles de lutte, de violence, d’oppression tyran-