LA MORALE DU PESSIMISME
I
Introduction.
Les philosophes, en présence de l’énigme du monde, sont comme les mathématiciens lorsqu’ils étudient un problème complexe, qui, par son énoncé même, n’admet qu’une seule solution. Ceux-ci commencent par réunir toutes les données de la question, expriment les relations de ces données avec l’inconnue par une ou plusieurs équations ; puis, à l’aide des procédés généraux de l’analyse, dégagent l’inconnue et en obtiennent un certain nombre de valeurs différentes qui, au point de vue du pur calcul, résolvent également le problème. Ici, le rôle de l’algèbre est terminé ; quand il s’agit de choisir entre les diverses solutions, c’est à des considérations d’un nouvel ordre qu’il faut avoir recours. Ainsi, d’après la nature du problème, on devra souvent éliminer d’emblée les solutions imaginaires ; parmi les valeurs réelles, on rejettera tantôt celles qui sont négatives, tantôt celles qui sont impaires, fractionnaires, irrationnelles ou qui dépassent dans un sens ou l’autre telle limite fixée à l’avance. On arrive ainsi d’ordinaire à ne garder comme satisfaisant au problème concret de géométrie, de physique, d’astronomie, qu’une seule des nombreuses solutions du problème abstrait d’algèbre. Si aucune des valeurs obtenues n’est compatible avec les conditions de la question, ou si plus d’une les remplit entièrement, c’est que les données étaient insuffisantes pour la résoudre.
Cherchons les analogues de ces faits bien connus dans le domaine de la métaphysique. Ici, les données, en nombre illimité, sont représentées par les faits physiques, physiologiques, psychologiques,
- ↑ Phännomenologie des sittlichen Bewusstseins, Prolegomena zu jeder künftigen Ethik (Phénoménologie de la conscience morale, prolégomènes à toute éthique future). Berlin, chez Duncker, 1879. xxiv-872 pages.