Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VII.djvu/395

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
389
reinach.le nouveau livre de hartmann

de fait, sauf de rares exceptions, l’être refuse de pousser la logique à l’extrême. Il vivra donc, mais sa vie est maintenant une forme vide de contenu : la « banqueroute de l’égoïsme » a fait seulement table rase de la conscience. Où trouvera-t-elle un principe de direction ? Carie renoncement à soi-même n’est pas le principe de la morale ; il n’en est que la condition indispensable. En désespoir de cause, l’homme cherche cette nouvelle règle de conduite non plus en lui, mais en dehors et au-dessus de lui : à la doctrine du plaisir succède la doctrine de l'autorité, à la pseudo-morale naturelle la pseudo-morale hétéronome.

Cette nouvelle morale repose sur le sentiment du respect et peut présenter autant de variétés que ce sentiment a d’objets. L’homme peut sacrifier sa liberté sur l’autel de la famille, de l’État, de la coutume ; il peut se courber soit sous l’Église, soit sous la volonté divine. Cette dernière forme de sujétion, la plus élevée de toutes, ruine le principe même de l’autorité en en révélant l’insuffisance. Le chrétien protestant ne paraît connaître d’autre règle de conduite que l’obéissance à la volonté d’en haut ; cette volonté, il en trouve l’expression dans les livres saints ; mais, comme il n’admet pas d’intermédiaire entre Dieu et lui, il doit interpréter par lui-même la parole divine, il est son propre directeur de conscience. Or la critique suppose un critérium, et le critérium ne peut être ici qu’un principe moral puisé à une autre source que l’autorité. Dès lors, n’est-il pas évident que c’est ce critérium qui est la véritable règle de conduite, que la formule écrite n’est plus qu’une vaine et puérile superfétation ? La religion, après avoir absorbé la morale, est à son tour absorbée par elle ; le Dieu de la révélation devient le Dieu de Kant « par la grâce de l’impératif catégorique » (92).

Ainsi, « la tentative de réaliser la moralité en accomplissant une volonté étrangère s’est montrée aussi contradictoire que la prétention de s’engraisser par ce que mange un autre. » Simple succédané pratique de la morale, le principe hétéronome ne sert qu’à mettre une digue au débordement de l’égoïsme pendant la minorité du genre humain ; mais la vraie moralité, si elle existe, ne peut croître que sur le sol de l’autonomie morale. La philosophie commence où le respect (aveugle) finit (59). Nous voilà donc ramenés du ciel sur la terre. Trouverons-nous dans l’âme humaine un principe régulateur, autre que l’intérêt ou le respect de l’autorité, d’après lequel nous puissions qualifier les actes de nos semblables et diriger les nôtres ?

Ici, trois facultés se disputent le rôle de législatrice de notre vie : le goût, le sentiment et la raison. À leur tour, les morales, esthétique,