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sentimentale, rationnelle sont des espèces qui embrassent chacune un certain nombre de variétés. Suivant M. de Hartmann chacune de ces variétés contient une part de vérité, aucune ne contient la vérité tout entière : ce sont autant de principes subjectifs de morale qui dans beaucoup de circonstances suffisent pour nous éloigner du mal et nous porter au bien, mais qui, pris isolément, ne sauraient véritablement fonder la morale, parce qu’ils ne renferment pas en eux-mêmes la raison dernière de leurs injonctions.

Ces divers principes ne se présentent pas séparément et sans lien dans la conscience. Considérons d’abord la morale du goût. Elle débute par la doctrine du juste milieu, proposée par Aristote ; bientôt on s’aperçoit qu’appliquée aux vertus sublimes cette doctrine conduit à des résultats absurdes ; de plus, le juste milieu est un critérium trop vague et qui diffère nécessairement d’un sujet à l’autre. Le goût, ne pouvant réaliser l’harmonie dans l’exercice de chaque vertu particulière, la cherche alors dans l’équilibre général de l’âme, dans l’accord des diverses facultés (Platon) ; mais cette opinion soulève les mêmes objections que la précédente : il faut faire encore un pas et poser pour principe suprême l’harmonie non plus individuelle, mais universelle. Ici s’arrête l’évolution de la morale du goût sur le seuil même de la morale de l’intelligence, à laquelle elle aboutit forcément, car la formule de l’harmonie générale ne peut contenter l’esprit, tant que le contenu et la nature de cette harmonie n’ont pas été définis par la raison[1].

L’homme n’éprouve pas, devant les actes bons ou mauvais de ses semblables, les impressions en quelque sorte placides que lui cause la vue d’une œuvre d’art ; il s’indigne, il s’apitoie, il déteste, il aime : la vie n’est pas pour lui un jeu, un spectacle indifférent, les hommes des statues ou des marionnettes. Dès lors la morale du goût doit céder le pas à la morale du sentiment. Celle-ci, comme on pouvait s’y attendre, présente entre ses parties une liaison moins étroite : c’est plutôt un faisceau qu’une chaîne. On ne voit même pas trop quelles raisons ont pu déterminer l’auteur à admettre sous cette rubrique tels principes et à en exclure tels autres. Il nous entretient

  1. Les autres principes de morale esthétique (principe du perfectionnement ; principe de l’idéal moral, principe de la conformation artistique de la vie) peuvent se ramener aux précédents. Hartmann soumet à une critique fort sensée la morale esthétique en général : il montre tout ce qu’elle a de creux, de fragile, de superficiel, de féminin ; toutes les conditions de bien-être et d’indépendance qu’elle suppose réunies chez ses adeptes, enfin et surtout son caractère subjectif et individuel qui la rend impropre à dicter des lois absolues. Si nous n’insistons pas davantage, c’est que tous ces points se trouvent traités ou effleurés dans la plupart des ouvrages classiques de morale.