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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VII.djvu/399

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reinach.le nouveau livre de hartmann

avec les circonstances, les Jésuites et Hegel ont raison de soutenir que « le but justifie les moyens » : il n’y a pas seulement « deux morales », il y en a une infinité (570).

La conformité, même inconsciente, de notre conduite à une fin quelconque, différente de notre bonheur, constitue une espèce de moralité ; mais la moralité vraie réclame la compréhension du but auquel nous tendons : il faut faire des fins de l’inconscient les fins de notre conscience ; le philosophe seul peut être proprement moral. Sans doute, on ne saurait demander à toutes les âmes de s’élever à la connaissance de la fin dernière ; mais au moins doivent-elles se dévouer avec intelligence à des fins relatives, intermédiaires entre elles-mêmes et la fin suprême. Pour tout individu du ordre, l’obligation morale consiste à se subordonner comme moyen à l’individu de l’ordre  ; le concept de la vertu est donc aussi relatif que celui de la finalité, et pour l’Être absolu il n’y a plus de devoir, parce qu’il n’y a rien au-dessus de lui (586).


III

Les principes objectifs de morale.


Le problème moral est maintenant précisé et circonscrit. Quelle est la fin suprême vers laquelle l’homme doit diriger ses efforts ? Interrogeons là-dessus la conscience morale, et reprenons-la au moment de la banqueroute de l’égoïsme. Dans l’alternative de renoncer à la vie ou de la consacrer à une autre fin que son propre bonheur, quoi de plus naturel que de choisir pour fin le bonheur des autres ? Toutefois trois graves objections se présentent dès l’abord :

1° Si le bonheur de chaque individu en particulier est une utopie, n’est-il pas tout aussi insensé de travailler au bonheur de mon prochain qu’à mon bonheur propre ?

Non, répond M. de Hartmann ; lorsqu’il s’agit de moi-même, je puis choisir d’être heureux ou de ne plus être du tout ; me proposer pour but un bonheur simplement relatif, un allégement de mes souffrances, ce serait accepter une vie sans contenu : une pareille résolution est le comble de la folie. Au contraire, il ne dépend pas de moi que mes semblables vivent ou ne vivent pas ; je dois accepter leur existence comme un fait auquel je ne puis rien changer ; partant, il est très-raisonnable d’essayer de leur procurer au moins un état préférable à leur condition actuelle.

2° Le principe de l’intérêt général ne doit-il pas être rejeté comme entaché d’eudémonisme ?