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qu’à choisir pour fin la fin du processus universel lui-même. Que le monde tende à une certaine fin, c’est ce que le spectacle de la nature ne permet pas de mettre en doute ; que cette fin n’est pas la félicité des individus, l’expérience et la raison s’unissent pour le démontrer ; qu’enfin les actes conscients ou inconscients des individus contribuent à hâter la réalisation de la fin suprême, quand même ils paraissent la combattre, l’histoire et la philosophie de tous les temps nous l’apprennent à l’évidence. Ce n’est pas sans une raison profonde que Gœthe a appelé Méphistophélès « une partie de cette force qui veut toujours le mal et ne crée que le bien ».

Ein Theil von jener Kraft,
Die stets das Böse will und nur das Gute schafft.

Mais s’il est manifeste que ce que la conscience appelle le bien, la vertu, consiste à travailler activement dans l’intérêt de la fin dernière, si d’autre part on ne peut nier que certains individus ne préfèrent cette manière d’agir à la conduite opposée, nous ne savons toujours pas pourquoi chacun doit faire ce choix par cela seul qu’il est homme et raisonnable. Entre l’ironie transcendante du nihilisme byronien et l’activité féconde de l’homme de bien, nous demeurons encore flottants, indécis. C’est ici que le secours de la métaphysique est indispensable pour achever la déroute de la volonté individuelle ; comme le dit Schopenhauer, le postulat de toute morale est : Je crois en une métaphysique.

Mais ce n’est pas seulement une métaphysique en général que postule, suivant Hartmann, la « vraie conscience morale » ; c’est une forme particulière de métaphysique. Elle ne saurait s’accommoder ni du monisme abstrait (idéalisme subjectif), ni du pluralisme atomistique, ni du compromis bâtard que le théisme philosophique a essayé de ménager entre ces deux doctrines. Le monisme abstrait, en réduisant les manifestations de la vie individuelle à de pures apparences subjectives, leur enlève toute dignité, toute importance, en un mot, toute valeur morale ; il conduit à l’ascétisme, au quiétisme ou à l’exaltation transcendante du moi. Le pluralisme pèche par l’excès contraire : ramenant toute réalité à l’individu, il supprime par là toutes les fins qui le dépassent et ne laisse subsister que la pseudo-morale égoïste. Quant au théisme, outre qu’il est inséparable de la morale hétéronome, il s’épuise en vains efforts pour justifier la Providence d’avoir créé un monde aussi misérable que le nôtre.

Reste donc la synthèse supérieure dans laquelle Hegel et Schopenhauer, indépendamment l’un de l’autre et sans se comprendre, ont su concilier le monisme et le pluralisme, et conséquemment l’égoïsme