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quand ces corps sont créés, l’upâdhi les distingue de l’âtman, et ils obtiennent ainsi une direction (adhishtâtrtva) qui leur est propre[1]. Mais comment concilier cette faculté dont jouit le vidvân délivré d’animer plusieurs corps, avec les textes établissant l’unité absolue de conscience de l’âme universelle ? Cela dépend du point de vue auquel on se place (Sûtra iv, 4, 16) ; si l’on considère l’état de profond sommeil ou celui d’union complète avec Brahma (kaivalya), alors il y a lieu d’appliquer les textes sacrés qui nient l’existence de la conscience individuelle après la délivrance. Mais il y a d’autres conditions, telles que la résidence dans le ciel, etc., conséquence de la science qualifiée, et c’est à un état de ce genre que la toute-puissance en question s’applique[2].

Le Sûtra iv, 4, 47, répond à la question de savoir si le vidvân qui s’est uni à Içvara avec son manas pour avoir rendu un culte à Brahma qualifié jouit d’une toute-puissance absolue (niravagraha) ou limitée (sâvagraha). On doit répondre non, en ce qui regarde la création du monde (jagadutpattyâdivyâpâram varjayitvâ). Mais le vidvân délivré dans les conditions qui viennent d’être dites possède une puissance qui s’étend sur les petites choses (animâdijâtmakam aiçvaryam). Diriger l’univers est l’affaire d’Içvara éternel (nityasiddha), car c’est lui seul que, les textes sacrés désignent pour cette fonction. Quant aux vidvâns dont il s’agit, ces mêmes textes disent que leur puissance consiste d’abord à le chercher et à avoir le désir de le connaître ; ils n’ont donc pas à s’occuper de la direction de ce monde. Du reste, comme ces vidvâns sont doués de manas, ils n’ont pas tous une même pensée, et il pourrait arriver en ce qui concerne le monde que les uns voulussent qu’il dure, tandis que d’autres désireraient son anéantissement, ce qui créerait des divergences inadmissibles[3].

Dira-t-on (Sûtra iv, 4, 19) qu’Içvara est sujet lui-même à des modifications ? Il convient de répondre qu’effectivement il a deux formes : la forme absolue et la forme relative. Or ceux qui ont adressé leur culte à sa forme finie et relative n’obtiennent pas l’autre, en vertu du précepte qu’on s’unit à la divinité à laquelle on a offert son adoration. C’est ainsi que le vidvân qui a entouré de ses hommages Brahma qualifié (ou Içvara, synonyme de Brahma et appellation qu’on emploie de préférence quand on a sa toute-puissance

  1. Cette théorie explique comment s’opèrent indéfiniment l’extinction et la reproduction des âmes individuelles.
  2. Sagunavidyâvipâkasthânam tv etat svargâdivad avasthântaram yatraitad aiçvaryam upavarnyate.
  3. Samanaskatvâd eva caishâm anaikamatye kasyacid sthityabhiprâyah kasycit samhârâbhiprâya ity evam virodho ’pi kadâcit syât.