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regnaud.études de phylosophie indienne

du fait d’être intelligence pure. L’absence de péché n’est en effet qu’une qualité négative ; quant aux autres qualités, elles sont contradictoires avec l’affirmation des textes sacrés disant que l’âme suprême ne saurait avoir différentes formes. Enfin Bâdarâyana, l’auteur de nos Sûtras, tranche la question en disant que, quoiqu’il soit établi que Brahma n’a pour nature que l’intelligence proprement dite (pâramârthikacaitanya), rien ne s’oppose à ce qu’on le considère, en même temps que les âmes individuelles qui se réunissent à lui par la délivrance, comme doué de puissance (aiçvarya) au point de vue relatif ou temporel (vyavahârâpekshayâ)[1].

Les Sûtras iv, 4, 8 et 9 établissent la toute-puissance du désir (samkalpa) du vidvân délivré attestée par les textes sacrés, comme ceux où il est dit : « Quand il le désire, les ancêtres lui apparaissent[2]. » Il en résulte que le vidvân n’a pas d’autre maître que lui-même.

Puisque le manas est l’instrument du désir, le vidvân, qui est uni à l’âme suprême et qui participe à sa toute-puissance (iv, 4, 10), est doué de manas ; mais possède-t-il également le corps et les sens ? Bâdarâyana, s’appuyant sur les textes sacrés, s’est décidé pour la négative. Toutefois il admet (iv, 4, 12) que le vidvân peut avoir, selon qu’il le désire, un corps, ou n’en point avoir, attendu qu’il n’a que des désirs qui se réalisent et que ses désirs sont divers[3]. Quand le vidvân n’a pas de corps, il perçoit les objets des sens comme on les perçoit sur terre dans le sommeil, quoiqu’ils fassent défaut (iv, 4, 13) ; quand il en a un, il perçoit comme sur terre dans l’état de veille (iv, 4, 14).

Mais les corps que le vidvân peut créer à volonté sont-ils doués ou non d’âtman ? Telle est la question qui fait l’objet du Sûtra iv, 4, 15.

De même que la lueur d’une seule lampe se multiplie par ses reflets, de même le vidvân, grâce à sa toute-puissance, peut se multiplier en pénétrant dans tous les corps. D’ailleurs, on ne saurait admettre l’existence active de corps dépourvus d’âmes. C’est en vain qu’on objecterait que le manas du vidvân est inséparable de l’âme. Le vidvân, quoique doué d’un seul manas, peut, attendu que tous ses désirs se réalisent, produire d’autres corps doués de manas dont les fonctions se modèlent sur celles de son propre manas. Et

  1. C’est ce que le glossateur, Govinda-Ananda, explique en disant qu’il s’agit par là des rapports que l’âme suprême conserve avec les âmes individuelles non encore délivrées. Ye îçvaradharmâs ta eva cidâtmani mukte jîvântarair vyavahriyante. — Cette explication est d’une importance capitale pour comprendre tout ce qui va suivre.
  2. Chând. Up., viii, 2, 1.
  3. Satyasamkalpatvât samkalpavaicitryâc ca.