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analyses. — liard. La science positive et la métaphysique.

la pensée, dit-il, impliquent la notion d’existence en soi et par soi, l’absolu est donné dans la conscience. Or le relatif suppose l’absolu. On objecte à cela que l’absolu devient alors relatif ; mais, répond M. Liard, l’absolu n’est pas placé en corrélation avec le relatif, mais bien le relatif en corrélation avec l’absolu. L’un est-il possible sans l’autre ? et n’est-ce pas, quoi qu’on fasse, établir la relativité de l’absolu que de l’opposer au relatif ?

On pourrait à la rigueur, dit M. Liard, croire à l’existence de l’absolu sans le connaître. Mais dire que l’absolu existe, c’est déjà le déterminer et le connaître en partie. Une existence connue n’implique-t-elle pas relation ? M. Liard, du reste, a voulu aller plus loin ; pour lui, l’absolu, c’est l’idéal de la perfection morale. Telle est du moins la théorie qu’il paraît préférer et accepter, car il ne l’énonce parfois que d’une manière peu décidée et plutôt comme une hypothèse séduisante et probable que comme une certitude.

Supposons donc, pour un moment, que l’absolu existe et que l’existence en soi et par soi soit concevable. La perfection morale peut-elle passer pour être l’absolu ? Je ne le crois pas, et voici ma raison.

De deux choses l’une : ou bien cet absolu, cet idéal de la perfection morale existe hors de toute conscience ; ou bien il se réalise dans une conscience, c’est un état de conscience, une idée de l’homme ou d’un être supérieur. La première hypothèse est inadmissible. Un idéal de perfection morale sans conscience ; un idéal inconscient et existant par soi, en dehors de toute conscience, est une abstraction réalisée ; son existence réelle ne saurait être établie. Ce serait quelque chose d’analogue à la finalité inconsciente du panthéisme que M. Liard combat. D’ailleurs cette hypothèse est incompréhensible. Nous devons donc supposer que, si l’idéal existe, il se réalise dans la conscience. Mais pour qu’une idée, quelle qu’elle soit, se réalise, il faut le concours de plusieurs conditions physiologiques ou psychologiques. L’idéal moral ne saurait se manifester par exemple chez la brute ou l’idiot, et la perfection morale ne se réalise pas chez l’homme. De quelque façon qu’on se le représente, l’idéal de la perfection morale implique une intelligence, une conscience, c’est-à-dire une personnalité, et par suite un non-moi, et d’après les spiritualistes une volonté libre. Ce qui dépend de tant de conditions ne saurait être l’absolu. La perfection est un fait complexe ; elle ne peut être absolue, puisqu’elle suppose une relation entre ses éléments. D’ailleurs l’idéal perfection morale suppose, par lui-même, une relation entre divers êtres, ou l’idée de cette relation.

M. Liard a fait un puissant effort pour constituer, en dehors des sciences et avec des procédés en somme tout scientifiques, une métaphysique à la fois scientifique et morale. S’il n’a pas entièrement réussi dans son entreprise, la faute en est non à lui, mais à la métaphysique, dont la vanité n’est pas moins bien montrée par les efforts de ses défenseurs les plus éminents que par les attaques de ses adversaires.

Fr. Paulhan.