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Nous avons tout lieu de croire pourtant qu’il n’en continua pas moins à son protégé sa bienveillance et ses conseils. Comment s’expliquer autrement que Kant ait figuré deux années parmi les auditeurs zélés du cours de dogmatique religieuse de Schultz ? Il était sans doute d’avis, comme le rapporte un de ses camarades d’étude, Heilsberg, « qu’on doit acquérir une certaine connaissance de toutes les science sans exception, et étudier jusqu’à la théologie, alors même qu’on ne songe pas à en faire sa carrière. » C’est probablement aussi d’après les conseils de Schultz que Kant s’attacha de préférence aux professeurs de l’Université qui représentaient, dans des enseignements différents, les tendances et le piétisme wolfien de Schultz.

L’abandon de Kant n’en était pas moins une perte pour le piétisme. Et elle devait être d’autant plus sensible à Schultz, que la cause qu’il défendait avait été déjà sérieusement menacée en 1740, lors de l’arrivée au trône de Frédéric le Grand, l’adversaire déclaré des piétistes. Les orthodoxes, ayant à leur tête un des collègues de Schultz, un prédicateur renommé et influent, du nom de Quandt, avaient résolument demandé au Landtag, tenu à Kœnigsberg pendant le séjour du roi, l’expulsion de Schultz et de ses adhérents, Kypke, Arnoldt et Salthenius. On peut juger de l’acte d’accusation par les considérants relatifs à Salthenius : le ridicule et la violence des passions théologiques s’y étalent au grand jour : « Le monde entier sait que Salthenius a, dans sa jeunesse, alors qu’il résidait encore en Suède, son pays natal, conclu avec l’exécrable Satan un pacte impie ; qu’il a été justement, pour ce fait criminel, noté d’infamie et exilé de Suède à jamais. La révélation récente de cet acte abominable a jeté la déconsidération sur l’Université, et en a écarté de nombreux étudiants. Et, ce qui est plus grave encore, l’exemple de Salthenius est certainement cause qu’un jeune homme, qui avait été élevé au collège de Frédéric, a conclu à son tour un pacte semblable, il y a quelques années. »

Schultz n’eut pas de peine à repousser ces ineptes accusations, et à faire abandonner les poursuites qu’on méditait contre lui et les siens. Quandt lui fut sans doute préféré pour le rectorat, aux premières élections ; mais l’influence de Schultz n’en fut pas sensiblement amoindrie.

Un autre danger plus sérieux n’allait pas larder à le menacer. A peine venait-il d’échapper aux coups des théologiens orthodoxes, qu’il eut à se défendre contre les philosophes, ses alliés jusqu’ici. Eu même temps que Reimarus achevait à Hambourg sa fameuse « Défense pour les partisans d’une religion naturelle » (Schutzschrift fur die vernuenfligen Verehrer Gottes), qu’il devait s’interdire de