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nolen.les maîtres de kant

publier lui-même de son vivant, un autre wolfien, Fischer, soulevait en 1743, par l’audacieuse publication d’un écrit du même genre, l’hostilité passionnée des théologiens de Kœnigsberg. Le titre de l’ouvrage en fait assez bien connaître l’objet et l’esprit : « Pensées rationnelles touchant l’essence de la nature, en vue de démontrer que la nature est impuissante, si Dieu n’agit et ne se limite en elle, comme il convient à sa sagesse absolue ; que la puissance unique, indivisible de Dieu, se manifeste dans et par les causes moyennes, selon le degré d’efficacité et de vertu qu’elle leur communique ; que tout enfin dans le monde se fait par l’unique action de Dieu ; d’après des réflexions, des observations, des raisonnements prolongés, et pour la plus grande gloire de la majesté divine et la propagation de vérités importantes, par un chrétien ami de Dieu[1]. » Sous le couvert du wolfianisme, l’auteur développait des propositions très-voisines du spinozisme, et qu’on aurait pu croire empruntées au Tractatus theologico-politicus. Un tel rapprochement ne pouvait qu’être funeste au livre. On sait à quelle exécration le nom et la doctrine de Spinoza étaient voués à cette époque : un libre esprit, tel que Wolf lui-même, ne faisait aucune distinction entre un athée et un spinoziste. Schultz provoqua le premier des poursuites contre le livre. Les vérités essentielles de la foi chrétienne, celles de la chute, de la communion, de la divinité du Christ, étaient trop ouvertement combattues ou dénaturées par Fischer, pour qu’il ne se fît pas un devoir sacré de protester énergiquement. La condamnation et l’interdiction du livre n’eurent d’autre effet, comme il arrive d’ordinaire, que d’en multiplier les lecteurs. La personne de l’auteur, du reste, ne fut nullement inquiétée, et Fischer put continuer jusqu’à sa mort de résider à Kœnigsberg. Schultz fit donc preuve, en cette affaire, d’une modération qui contraste avec la conduite des théologiens orthodoxes.

S’il savait associer la modération à la fermeté contre les adversaires de sa foi, il faisait briller la sagesse de son esprit pratique dans la direction qu’il s’efforçait d’imprimer au piétisme. Les exagérations maladives de la dévotion provoquaient infailliblement la critique et la répression de son bon sens ; et, tant qu’il vécut, le piétisme prussien fut protégé contre les inventions déréglées des imaginations mystiques. Schultz ne pouvait toutefois qu’arrêter momentanément la secte sur celte pente, où déjà avant lui elle ne s’était montrée que trop encline à glisser.

Il n’avait pas réussi davantage à enrayer les progrès du déisme wolfien et des adversaires de la théologie révélée, des partisans des lumières (Aufklärung), comme ils s’appelaient alors.

  1. Martin Knutzen, p. 44, 45.