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Mais, ce qui intéresse la morale, ce n’est pas la responsabilité de l’être, c’est celle de l’acte. Kant dit très-bien[1] : « Nos responsabilités ne doivent être rapportées qu’au caractère empirique. » L’invariabilité du caractère est, au reste, en contradiction avec le postulat de toute morale qui admet le devoir, puisqu’il s’agit précisément d’améliorer le caractère. Schopenhauer finit par placer la responsabilité non plus dans l’être ni dans l’acte, mais dans le devenir ou l’existence. Chaque individu était absolument libre d’exister ou de ne pas exister ; ceux qui ont préféré l’existence au néant sont donc bien causœ suî : c’est le péché originel. Rien de plus contradictoire qu’une pareille théorie, qui accorde l’être aux individus avant l’existence ; l’un et l’autre sont strictement déterminés d’une part par l’Un-Tout, de l’autre par les lois de l’organisme.

Toutefois Hartmann ne rejette pas tout à fait la doctrine de la liberté transcendante ; mais il n’attribue de pouvoir mystérieux qu’à l’Un-Tout, le seul être absolu, le seul qui soit vraiment causa suî. L’existence de l’Un-Tout est le résultat d’un acte absolument libre, c’est-à-dire absolument illogique et fortuit ; cet acte une fois accompli, toute la suite des êtres et des événements en découle forcément.

On voit que M. de Hartmann refuse la liberté à ceux qui en ont besoin et l’accorde à ceux qui n’en ont que faire. Le seul être auquel il reconnaisse la condition subjective de devoir, il nie qu’il soit soumis à aucun devoir ; le succédané de la liberté ; qu’il concède aux individus, s’est montré à nous comme une vaine illusion, incapable de tenir lieu d’un pouvoir positif et indispensable ; le minimum de M. de Hartmann n’explique donc ni le devoir ni la responsabilité, et, contrairement à ses assertions, la question du libre arbitre reste pendante.

Jusqu’à présent, trois opinions se sont partagé les esprits : l’une nie la liberté comme condition et comme fin, l’autre l’admet comme fin et la nie comme condition, la troisième l’admet à la fois comme condition et comme fin. Sans doute les défenseurs de ces diverses opinions n’en ont pas toujours la parfaite intelligence ; mais il suffit de débarrasser leurs systèmes de leurs contradictions pour les ramener aux trois types précédents. Or, de ces trois systèmes, les deux premiers sont rejetés par la morale et le troisième par la logique (car il est absurde de travailler pour acquérir ce qu’on possède déjà) ; mais il y a un quatrième système plutôt entrevu encore que développé, et qui est peut-être le vrai : il admet la liberté comme moyen et la

  1. Œuvres, t. ii, p. 432, note.