limite où s’arrête notre pouvoir personnel. Cette considération suffit à la responsabilité légale ; mais, en morale, notre ignorance des faits ne change pas les faits. Dans le système des déterministes, ma résolution prouve à posteriori quelle était la limite de mon pouvoir personnel, et si, malgré cette expérience, je persiste, dans l’occasion, à croire ce pouvoir illimité, c’est une pure illusion dont le moraliste ne doit pas tenir compte. Hartmann compare très-joliment la volonté au mécanicien d’une locomotive : le mécanicien serait incapable d’arrêter la machine en mouvement avec sa seule force musculaire, quelque vigoureux qu’il fût ; mais en pressant sur un petit ressort, il met en action une série d’engrenages et d’organes dont la force a été calculée de manière à produire cet effet. De même la volonté, prise au dépourvu, succomberait toujours dans la lutte contre la passion, si elle n’avait pas le pouvoir d’évoquer à son secours la « réserve » de raisons que l’expérience et la réflexion ont accumulée dans l’âme. Mais il n’y a là qu’une ressemblance tout extérieure. Dans le premier cas, les organes, une fois mis en mouvement, produisent infailliblement leur effet, indépendamment de la volonté du mécanicien ; dans le second, les organes, c’est-à-dire les motifs, ont une existence et une efficacité toutes virtuelles et qui dépendent à chaque instant de la manière d’être de l’agent moral ; l’âme n’est pas un champ de bataille, c’est un combattant.
Cependant tout espoir de trouver une place pour la liberté n’est pas encore perdu. Chacun agit d’après son caractère et ses motifs ; mais les motifs sont par eux-mêmes incolores, prennent la teinte du sujet qu’ils sollicitent : le caractère individuel demeure donc comme cause unique de nos déterminations. Mais ce caractère individuel lui-même est-il déterminé par des causes extérieures (caractère des parents, milieu, époque), ou ne faut-il pas placer en lui cette liberté que nous avons bannie de ses manifestations ? En un mot, si la liberté immanente est une fiction, la liberté transcendante n’est-elle pas une vérité ? On sait que Kant s’est arrêté à cette solution et qu’il a reculé la liberté dans le monde des noumènes.
À cette doctrine du caractère intelligible, reprise avec de légères corrections par Schelling et Schopenhauer, Hartmann oppose de nombreuses objections. En premier lieu, si le caractère est vraiment « intelligible », c’est-dire en dehors de l’espace et du temps, il cesse d’être individuel, puisque le temps et l’espace sont les seuls principes d’individuation dont nous ayons connaissance ; mais un caractère qui n’est pas individuel est un non-sens. Ensuite Schopenhauer déclare à mainte reprise que la responsabilité réside dans l’esse et non dans l’operari, et, de plus, que le caractère est absolument immuable.