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Malheureusement, vues de près, les choses changent de caractère. M. de Hartmann n’entre dans le vif de son sujet qu’au moment où il ramène le problème moral à la découverte de la fin de l’individu ; il nous reprocherait certainement de nous arrêter à un degré inférieur de l’évolution de la conscience. Il cherche d’abord cette fin de l’individu soit dans le bonheur, soit dans le progrès de la société : admettrait-il qu’on se contentât d’une de ces fins relatives ? Assurément non, puisqu’il nous développe dans tout leur détail les conséquences monstrueuses qu’entraîne chacun de ces principes considéré à part. Force nous est donc de faire un pas de plus et de choisir pour fin la fin même du processus universel. Mais, dès ce moment, nous sommes parvenus à la limite extrême de la spéculation : ce que M. de Hartmann intitule pompeusement « principe monistique », « principe religieux », « principe de la téléologie absolue », ne sont que des aspects divers du principe précédent, et ces dénominations nouvelles n’avancent pas la question. La seule chose qui puisse encore intéresser la conscience, c’est de savoir en quoi consiste la fin de l’évolution universelle qu’on lui prescrit de choisir comme fin de l’individu. Conçoit-on une morale dont la formule suprême serait ainsi conçue : « Prends pour fin consciente la fin inconsciente de l’univers, » sans ajouter quelle est cette fin ? La conscience ne ressemble pas au célèbre général qui votait pour l’inconnu.

Ainsi rien ne justifie la modestie de notre philosophe. Son dernier chapitre est indispensable non pas comme couronnement, mais comme fondement de la morale entière, qui sans lui flotte en l’air ; si ce fondement ne résiste pas à l’épreuve de la discussion, toute la partie dogmatique est non avenue et nous sommes ramenés à la morale subjective, c’est-à-dire naturelle. C’est là une conséquence logique de l’importance exorbitante attribuée à l’idée de la fin.

Nous souscrirons sans discussion à toutes les prémisses de M. de Hartmann. Nous admettons comme premier postulat l’identité de mon être individuel avec celui des autres individus et avec l’absolu, bref le panthéisme ; nous admettons comme second postulat que l’être universel ait une fin, et comme troisième postulat que la moralité consiste pour l’individu à prendre pour fin consciente le but inconscient de l’absolu. Toutes ces propositions ont été affirmées, mais non démontrées ; mais peut-être trouveront-elles une confirmation inattendue dans le principe suprême qu’il nous reste à examiner.

Pour Hartmann, l’expression « fin de l’absolu » ne peut signifier qu’un état de bonheur positif ou négatif. En effet, nous ne concevons d’autre règle de nos actions que le bonheur ou le devoir, et il ne