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l’expérience, mais une faculté native, qui nous permet de distinguer ainsi ce qui nous est propre de ce qui nous est étranger.

Les autres doctrines sur la manière de connaître le monde extérieur ne sont pas exactes. Les dualistes naturels, comme les appelle Hamilton, supposent que nous percevons immédiatement les objets ; c’est une théorie trop naïve pour qu’il soit nécessaire de la réfuter. L’induction même, qui conduit à la connaissance des lois et non à celle des causes, ne nous permettrait pas de passer de nos sensations aux choses extérieures. Le principe de causalité n’y servirait pas davantage. D’après ce principe, il n’y a pas de changement sans un changement antérieur ; comment arriver, en l’appliquant, à l’affirmation d’un objet ou d’une chose de leur nature invariable ? De plus, nous savons bien que nous percevons immédiatement les corps sans l’intermédiaire d’aucun raisonnement. Helmholtz, après avoir déclaré que nous connaissons nos seules sensations, nos seules perceptions, a donc eu tort de voir dans ces sensations ou ces perceptions des signes naturels, des symboles de choses extérieures, et d’affirmer l’existence de ces choses.

La théorie psychologique de Stuart Mill, d’après laquelle se formerait en nous la conscience abstraite de quelque chose de différent des sensations mêmes, d’une certaine possibilité de sensations liées à celle que nous avons actuellement, contient en réalité une pétition de principe. Je ne puis avoir en effet le moindre soupçon de ce groupement de mes sensations tant que je les considère seulement comme une détermination ou une modification de moi-même. Je ne puis que sentir la tendance à attendre l’apparition d’un certain nombre de sensations données à l’occasion de l’une d’elles. Pour que je regarde cette tendance comme une loi ou comme un ensemble de sensations, il faut objectiver ces sensations, et c’est là le fruit de la réflexion, non d’une simple association.

Nos sensations, puisque nous les connaissons comme formant un monde, doivent être organisées par la nature en conformité avec une loi de la connaissance, et cette loi, bien loin de se déduire de ces sensations, en est la directrice. L’association des idées, par laquelle Mill veut expliquer notre expérience, si elle n’était pas soumise à cette loi de la pensée, ne ferait que mêler nos impressions en un inextricable chaos.

Or si les corps, quant à leur notion, sont des substances, des essences absolues, comme nous l’avons montré, la loi de la pensée qui sert de fondement à la connaissance des corps ne peut être que la disposition intérieure du sujet à considérer tout objet comme une substance, comme un être absolu.

Par l’expression d’être absolu, M. Spir entend un être qui existe par soi-même. Peu importent les théories de différents philosophes aujourd’hui très-répandues sur la relativité de la connaissance ; cest un fait que nous admettons l’existence d’un monde corporel indépendant, absolu, et nous l’admettons comme n’ayant pas commencé, car nous