Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VII.djvu/580

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
574
revue philosophique

la réalité deux domaines distincts : d’abord l’essence propre des choses identiques avec elle-même et à laquelle se rapporte la loi de notre pensée : c’est le domaine de l’absolu. Il y a ensuite la représentation empirique des choses : c’est le domaine du conditionnel. Cette distinction entraîne une révolution dans la manière de penser, et tout ce que nous avons à ajouter doit s’appuyer sur elle.

Le fait que l’expérience est incapable de nous faire connaître l’essence propre et absolue des choses est confirmé par ce fait qu’il y a dans le monde de l’expérience trois éléments radicalement inconciliables avec cette essence absolue ; ces caractères sont : la relativité des phénomènes et des qualités, le changement et le mal. « Toute tentative pour faire dériver ces éléments de l’absolu, dit M. Spir, constitue, au point de vue de la science de la pensée, une absurdité, et, au point de vue religieux, une impiété. »

Pour le changement, M. Spir démontre que ce qui est immuable seul existe en réahté. Certains philosophes anciens n’ont pas eu tort de considérer le monde du changement comme un monde d’apparences. La doctrine plus récente de Kant sur l’idéalité du temps n’est cependant pas exacte, car elle revient, d’après M. Spir, à nier le changement lui-même ; or il est impossible d’admettre la réalité du contenu perçu et d’en nier les changements. Ces changements, ne fussent-ils qu’apparents, n’en ont pas moins par cela môme une réalité objective.

Kant s’est trompé en ne distinguant que deux classes d’objets : la chose en soi et la chose pour nous. Il y a une troisième sorte d’objets : c’est le moi lui-même, le sujet connaissant. Mais le changement que le moi connaît n’appartient pas à l’essence des choses ; ce fait résulte de la négation même que certains philosophes ont hasardée et aussi de l’impossibilité de concevoir l’absolu devenir.

Nous ne pouvons suivre l’auteur dans les développements qu’il donne pour démontrer l’impossibilité de transporter à l’absolu les trois éléments dont nous avons parlé ; on y remarque des aperçus d’une grande profondeur, tels que cette conclusion de ce qui se rapporte au changement : « Finir est la seule manière dont ce qui est réel fait voir sa fausseté… La loi de causalité nous fournit la preuve de la loi supérieure de la pensée. y> Comme le changement, la douleur ou le mal sert à marquer la distinction du réel connu et de l’absolu. Par elle, nous sentons que nous sommes dans un état anomal. Par suite, l’intelligence, d’après les lois du connaître, n’est pas la seule faculté qui nous révèle l’absolu ; le sentiment aussi, ou, pour employer l’expression française, la sensibilité, nous le révèle également. Or la conception de l’absolu, au moyen de la sensibilité, est le véritable fondement de toute religion digne de ce nom. A ce point de vue, on peut espérer établir une parfaite harmonie entre les exigences de la science et celles de la religion.

De même que nous ne connaissons pas par l’expérience ce qui est absolument, ce que nous connaissons a priori ne concorde pas avec les données de l’expérience. Il faut entendre par notion a priori, d’après