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la patience méthodique de l’analyste fera toujours défaut à l’esprit qui se laisse aller dès la première page à ces intempérances d’expression : « La matière capiteuse et combustible du débat politique… La malfaisance de cette omission a été sensible et désastreuse dans notre histoire… ; » ou qui s’abandonne à l’invective oratoire : « Pas du tout, dit-il à M. Taine, cet élément reste à la porte-, c’est vous qui le forcez, qui le bourrez dans un cadre, dans un tuyau, dans une catégorie où il ne peut pas tenir (p. 341) ; » ou qui s’échappe en saillies bizarres : « C’est ici le cas de rechercher s’il y a exemple en mécanique d’une force agissant sur elle-même (p. 5). » Avec cette précipitation de pensée, l’auteur en vient à qualifier de synthétique la méthode analytique suivie dans le premier volume de l’Intelligence (p. 343). Il apostrophe Leibniz pour savoir comment il peut expliquer l’action « de l’esprit en Dieu sur la matière (p. 550), » oubliant que Leibniz n’admet pas la réalité de la matière. Il démontre l’immortalité de l’âme contre le positivisme en invoquant l’infaillibilité de l’instinct. Il rejette la preuve morale, la preuve kantienne, en ces termes superbes : « On n’a pas usé de cette preuve, parce qu’on n’en croit pas le premier mot, encore qu’on l’ait rencontrée dans un livre, l’Idée de Dieu, etc. (p. 301) ; » et il conclut, après une longue argumentation, en faisant de cette espérance dont il faut s’enchanter, comme parle Platon, « un article de foi inné » (p. 303).

Et cependant ces sortes d’ouvrages à demi littéraires, à demi philosophiques ont leurs qualités, dont le philosophe de profession n’est peut-être pas un appréciateur équitable. Il y a dans celui-ci tel passage sur les tendances matérialistes et pessimistes de nos démocraties modernes qui, malgré la mollesse du dessin et le ton criard des couleurs, finit par former un tableau animé et brillant (p. 370-395). Toute la discussion du système de M. Taine se lit avec intérêt. Pour nos esprits blasés, le phénoménisme mécaniste du philosophe français n’a pas de saveur particulièrement irritante ; nous en avons vu tant d’autres ! que doit rêver tout écrivain. Il a été vivement frappé du spectacle, curieux, en effet, d’un scepticisme extrême exposé d’un ton dogmatique. Quelle naïveté, quelle fraîcheur d’impression dans ces exclamations que lui arrache ce premier sentiment de surprise : « Que de fantômes dans le cosmos de M. Taine ; les corps, un groupe de tendances au mouvement ; l’homme, un groupe de sensations ; des apparences partout, rien que des apparences successives ; la substance nulle part : « Umbrarum hic locus est. » Dans l’homme, tout change ; autour de lui, tout trompe. Au dire de M. Taine, le monde n’est que rapports, et entre qui, s’il vous plaît ? — D’une part entre des choses qui n’existent qu’en tendances, en simulacres, d’autre part entre des esprits qui sont à l’état d’hallucination, qui ne sont que des foyers d’hallucination. Au fait, tout cela est assez harmonieux : il y a de l’équilibre et de la proportion dans ce vague, entre ces ombres. Pourquoi des simulacres et des tendances produiraient-ils autre chose que des hallucinations (p. 367) ? » — Et plus loin : « Le fait est que M. Taine nous transporte