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qui toucherait l’œil. Peu à peu, grâce au travail de l’esprit, qui associe les données simultanées des sens et qui se souvient des rapports des formes et des distances aux jeux de lumière et aux dimensions apparentes, nous mettons chaque objet à sa place, nous jugeons des grandeurs, des formes, de l’éloignement, et nous ouvrons l’étendue devant nous. Le tableau est une surface plane qui ne diffère pas du voile sur lequel les objets, avant toute expérience, nous paraissaient juxtaposés ; que le peintre représente les lignes et leurs rapports, les degrés de l’ombre et de la clarté, les couleurs dans leurs nuances et leurs dégradations, l’œil, obéissant à ses habitudes, spontanément, verra les objets qu’il a coutume de rencontrer sous ces apparences. Mais le problème ne serait aussi simple que si le peintre nous montrait les formes telles que nous les percevons, que s’il disposait des mêmes degrés de clarté que la nature, que s’il pouvait rendre les couleurs dans leur intensité réelle. En est-il ainsi ? M. Helmholtz examine successivement ces trois points.

Arrêtons-nous d’abord aux formes des objets perçus. Notre œil est une sorte de chambre noire, au-devant de laquelle est enchâssée une lentille convergente (le cristallin), que les rayons lumineux traversent pour aller former une image renversée des objets sur la rétine. Imaginons sur un tableau une image analogue à celle qui se peint au tond de l’œil ; l’impression ne sera-t-elle pas identique à celle que feraient les objets réels ? — Il n’en est rien. Votre tableau est un paysage : supposez que le cadre se brise, que la toile grandisse et s’étende, que devant moi se déploie la campagne représentée ; je marche, les arbres du fond marchent avec moi, les arbres du premier plan reculent, semblent fuir ; tous les objets s’animent, se déplacent, se promènent. Devant votre surface peinte, les objets restent collés les uns aux autres, les arbres du premier plan tenant aux arbres les plus éloignés, sans que mes mouvements se communiquent à eux et intervertissent leurs rapports. — Soit ; restez immobile. — Oui ; mais que mon œil se déplace, et me voici encore contraint de me souvenir que je suis devant une surface plane, accrochée au mur, sans horizon, sans profondeur. En présence de la nature, chaque mouvement de l’œil, déplaçant le point de vue, crée un spectacle nouveau ; votre œuvre est figée dans une forme immuable ; toujours le même spectacle, avec la contradiction d’un point de vue qui ne change pas, quand l’œil se meut. — Mettez-vous au point de vue, immobilisez votre œil comme votre corps, et jouissez en paix de l’aspect de la réalité que le peintre vous présente. — Nouvel obstacle. Si j’étais en face du paysage, je le verrais avec deux yeux, de deux points de vue un peu différents ; et l’image unique que je percevrais