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contredise lui-mcme ? M. Véron soutient avec raison que celle objection n’est pas insoluble. D’abord les fibres nerveuses sont loin de jouir d’une excitabilité égale chez tous les hommes : il y a des délicats et des indifférents, des natures lourdes qui ont besoin d’un grand choc pour s’ébranler, des natures exquises, toutes légères, qui vibrent avec les sons, suivent sans effort la danse capricieuse des lignes, le chant des couleurs en harmonie. Ajoutez les habitudes et les préjugés.

En s’adaptant à certains sentiments, on perd l’aptitude d’éprouver des émotions différentes. Le cerveau semble se durcir, s’arrêter dans des formes définitives ; il se cristallise dans des idées fixes ; il perd sa souplesse, sa faculté de métamorphose ; il ne peut plus se mouvoir que dans des directions invariables ; c’est ainsi que s’organisent les têtes des hommes à théorie, des gens graves qui croient trouver en eux un type de beauté absolue, auquel ils comparent toutes les œuvres, sans s’apercevoir qu’ils prennent leurs habitudes pour des lois universelles. L’irritation, que nous cause parfois l’originalité, naît de la difficulté que nous éprouvons à accorder nos idées anciennes avec des œuvres qui semblent parfois les contradictions vivantes de nos préjugés favoris. Ce qui explique la variété des goûts, c’est donc l’indifférence des natures vulgaires, la souplesse des esprits plus ou moins dociles, l’entêtement des gens à formules, qui craignent d’être dérangés dans les systèmes qu’ils habitent depuis longtemps.

Toutes les idées de l’auteur nous semblent justes ; mais elles sont ajoutées les unes aux autres, elles sont juxtaposées, elles ne sont pas coordonnées. C’est de l’excellente critique, c’est de la mauvaise philosophie. Avant tout, il faut louer sans réserve M. Véron d’avoir rétabli les droits de l’intelligence dans l’art. Il est de mode, parmi certains artistes, peintres et même poètes, d’affecter le. mépris de l’intelligence, le dédain de la pensée, l’amour de la sonorité creuse, du bruit pour le bruit. Par malheur, beaucoup réussissent trop bien à réaliser cet idéal de vide et de platitude, qu’ils n’ont pas besoin de poursuivre bien loin, le trouvant en eux-mêmes. Leurs œuvres valent ce qu’ils valent ; ils sont des artistes médiocres, parce qu’ils sont des natures vulgaires. Nous ne voulons pas reprendre la critique raisonneuse, philosophique et morale de Diderot ; nous accordons aux artistes tous les droits, nous leur donnons toutes les libertés, nous leur ouvrons nos yeux, nos oreilles et nos cœurs ; qu’ils bouleversent le vieux monde, mais à la condition qu’ils aient dans l’âme un monde nouveau avec le génie d’exprimer leur âme. Quant aux esprits négatifs qui n’ayant rien à dire se grisent de la sonorité des mots, nous préférons le silence qui est un repos à leur agitation bruyante