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séailles. — la science et la beauté.

À cette concordance harmonique des vibrations nerveuses doit s’ajouter l’accord des idées entre elles et leur groupement autour d’une idée maîtresse qui mette l’unité dans l’œuvre artistique. Aussi bien la jouissance intellectuelle, qui naît d’une composition bien ordonnée, n’est qu’une stimulation des organes cérébraux, dont le jeu constitue la vie mentale, et elle se ramènerait à un accord de vibrations nerveuses, si l’on avait déterminé avec une exactitude suffisante par quels mouvements des centres nerveux se produisent les idées et les sentiments. L’homme ne peut sortir du plaisir physique, parce que ce qu’on appelle la vie morale n’est qu’une forme plus compliquée de la vie organique.

Ce plaisir esthétique n’est pas tout entier dans la résonnance harmonieuse des sensations et des idées ; ce qui par-dessus tout nous Intéresse et nous charme, c’est la vie qui ajoute à l’œuvre la grâce du mouvement, qui fait de l’unité égayée par la variété une sorte d’être semblable à nous, comme une âme agissante. Toute œuvre d’art est vivante ; elle vit de la vie de l’artiste, elle exprime son génie individuel, elle participe de sa personnalité. La beauté de l’œuvre d’art, n’est-ce pas avant tout cette âme semblable à la nôtre, plus grande souvent et. meilleure, qui en nous devenant visible nous pénètre, nous communique sa force, ajoute sa vie à la nôtre, et éveille en nous des puissances que nous ne nous connaissions pas ? Aussi le choix du sujet n’est-il pas sans importance, puisqu’il manifeste la puissance intellectuelle de l’auteur, puisqu’il trahit ses sentiments, nous confie les préférences de sa pensée, et contribue ainsi à éveiller en nous cette sympathie qui complète le plaisir par l’admiration, la joie que donne l’œuvre par celle d’aimer son créateur. La moralité même du sujet n’est pas indifférente ; qu’on ne crie pas au sermon, à la morale en action ; le beau est distinct du bien, c’est vrai ; mais, sous une forme également belle, la grandeur d’âme et la générosité ont plus de charme pour nous que la bassesse et la vulgarité.

Avoir du goût, c’est avoir un art délicat de jouir des belles choses, d’y démêler toutes les émotions qu’elles contiennent. « Si le plaisir esthétique est, comme nous l’avons dit, un résultat des vibrations particulières imprimées dans des conditions déterminées aux fibres de deux organes spéciaux, l’oreille et l’œil, la conclusion qui s’impose est qu’il n’y a dans cette jouissance rien d’arbitraire, et qu’elle doit être la même pour tous les hommes à la vue des mêmes spectacles et à l’audition des mêmes sons. » Mais alors d’où vient la diversité des goûts ? d’où vient qu’une œuvre d"un siècle à l’autre excite des sentiments opposés ? que le môme homme dédaigne ce qu’il admirait et se