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reinach. — le nouveau livre de hartmann.

lumière qui les éclaire. Toutefois, il ne faut pas exagérer : l’insensibilité de l’homme n’est souvent qu’apparente, parce que ses sentiments sont plus profonds ; ceux de la femme sont surtout à la surface, et parfois il n’y a rien au-dessous. Chez l’une, la moindre irritation, la plus légère piqûre d’amour-propre suffit pour mettre le feu aux poudres ; mais, dans la lutte pour les idées, l’autre s’élève plus facilement à l’enthousiasme et à l’héroïsme (167)[1].

Le plus ardent et le plus profond des sentiments, celui qui remplit toute l’existence féminine, c’est l’amour. L’amour, d’après Hartmann, n’est qu’un obscur sentiment d’identité ; il entraîne le moi au delà de l’étroite sphère de son individualité ; il anéantit l’égoïsme au moins en un point et relativement à une personne. Ce caractère de l’amour se révèle avec une clarté irrésistible dans sa forme la plus spontanée, l’amour maternel. La nature a pris soin que le sentiment de l’identité se produisît avec le plus d’énergie là où il est le plus nécessaire pour la conservation de l’espèce ; et, comme preuve, on voit la tendresse maternelle diminuer à mesure que l’enfant a moins besoin du secours de sa mère (280).

L’amour maternel a pour objet l’enfant lui-même ; l’amour sexuel a pour objet non l’enfant, qui n’existe pas encore et dont la naissance est douteuse, mais l’individu avec l’aide duquel la génération doit se produire, et en qui l’être aimant reconnaît le complément nécessaire à sa propre personne pour réaliser le type humain dans sa perfection (281). Dans l’amitié, enfin, ce n’est plus une fin inconsciente de la nature qui renforce et transforme en passion le sentiment obscur d’identité inné dans tous les êtres ; c’est l’estime, la confiance réciproque, la communauté des intérêts, la conformité des goûts et des idées. Issue plus directement de l’instinct social, l’amitié, plus tiède que l’amour, triomphe moins complètement de l’égoïsme ; en revanche, elle est moins exclusive et plus morale. Ce n’est que dans l’amitié que l’homme agit comme une personne ; dans les autres formes de l’amour, il est l’instrument aveugle d’un pouvoir impersonnel (284). Aussi la morale exige-t-elle que l’amour sexuel, l’amour filial, l’amour maternel soient ennoblis et spiritualisés par l’amitié.

Les anciens ont exalté l’amitié au-dessus de tous les autres sentiments ; Épicure et le Portique, Platon et Aristote s’accordent dans son éloge. C’est que l’amitié n’avait pas alors un aussi redoutable

  1. Hartmann exagère par endroits la frivolité et l’inconsistance des femmes ; ses explications de quelques sentiments manquent de profondeur ; nous citerons, par exemple, ses observations sur la pudeur (176) où l’on désirerait aussi un peu plus de réserve dans certaines images.