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boussinesq. — le déterminisme et la liberté

et qui pourraient, de là, passer dans l’esprit des lecteurs qui n’auront pas occasion de lire mon livre.

I. — Le premier de ces malentendus concerne l’objet même de mon étude, exposé cependant à l’avant-propos (p. 30), dans tout le § 1er  (p. 33 à 40), au no 6 (p. 52), au no 7 (p. 55), au no 11 (p. 63) et, finalement, à la Conclusion du mémoire (p. 140). Cet objet est de réfuter une assertion célèbre de Leibnitz, Laplace, Dubois-Reymond, Huxley, etc., en démontrant que les équations de mouvement d’un système matériel, prises telles que les suppose la mécanique classique, ne déterminent pas toujours toute la suite des mouvements du système. Or M. Bertrand, explicitement d’accord avec moi sur la partie mathématique du travail, est sous ce rapport de mon avis : mais il oublie de dire que tel était mon but principal. Le lecteur de son article serait plutôt tenté de croire que je m’étais proposé de « pénétrer le mystère de l’âme immatérielle » ou « l’action de l’âme sur le corps », questions en dehors de la voie que j’ai suivie ; car je me suis précisément appliqué à ne considérer que des mouvements matériels, que des objets rentrant dans les catégories de la forme et de la quantité mesurable, les seules où le savant voie clair. J’ai été même, à cet égard, bien plus loin que M. Bertrand ; il paraît, en effet, attacher encore aux prétendues forces des mécaniciens un sens de cause, distinct de leur sens géométrique précis, tandis que je me suis astreint à ne voir en elles, conformément à ce dernier sens, que des produits de masses par des accélérations, les dépouillant ainsi dans ma pensée, à l’exemple de L. du Buat, Cauchy, M. Saint-Venant, etc., de leur signification obscure, tout comme on a fait pour les forces vives et les quantités de mouvement.

M. Bertrand atténue, il est vrai, l’importance du but que j’ai poursuivi, en qualifiant de « paradoxe connu depuis longtemps » l’existence de cas où les équations du mouvement comportent plusieurs solutions. Il veut dire sans doute que Poisson avait déjà, en 1806, à propos d’études purement analytiques, trouvé un pareil exemple d’indétermination, savoir, celui que j’ai exhumé au no 24 (p. 123) de mon livre et que rappelle M. P. Janet dans son Rapport. Mais, pour montrer jusqu’à quel point ce fait, que Poisson déclare lui-même ne pouvoir s’expliquer, avait été compris et était resté « connu », mon éminent contradicteur aurait dû citer les cours ou même les mémoires de mécanique, publiés depuis, qui en auraient fait mention ou qui auraient signalé d’autres exemples analogues. Le nombre de ces cours ou mémoires, s’il en existe, doit être bien petit, à en juger par la conviction profonde dans laquelle ont vécu Laplace,