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Duhamel, etc., et où sont encore la plupart des géomètres, que « l’équation différentielle du mouvement d’un point, jointe aux circonstances initiales, détermine complètement le mouvement de ce point pendant un temps indéfini[1]. »

M. Bertrand a donc bien raison d’observer qu’on n’avait conclu jusqu’ici rien de grave du fait analytique qu’il dit « connu depuis longtemps ». Mais il pourrait ajouter qu’en revanche on a tiré la plus grave des conclusions de l’ignorance où l’on était à l’égard du même fait, puisqu’on a, sur son omission, édifié le système d’après lequel un déterminisme mécanique absolu réglerait tous les mouvements qui se produisent dans l’univers, et ne permettrait à aucune cause distincte des forces physico-chimiques, pas même à la vie végétale ou animale, d’influer en rien sur le cours des choses. L’importance d’une telle conclusion aurait fait comprendre au lecteur le prix que M. Paul Janet avait attaché à ma thèse.

Mais M. Bertrand paraît tenir quand même à ce que les lois physico-chimiques déterminent tout l’enchaînement des phénomènes auxquels elles s’appliquent. Là où se taisent les équations différentielles, qui sont, même à son avis (p. 520), l’expression de ces lois la plus exacte que nous puissions formuler, il appelle à son aide la considération des nuances mystérieuses qui séparent très-probablement l’abstrait du réel, c’est-à-dire qui différencient légèrement nos conceptions géométriques des choses d’avec leurs vraies manières d’être ; et il y trouve une certaine possibilité d’attribuer dans l’occasion aux lois physico-chimiques un peu plus de portée qu’à leurs expressions mathématiques reçues. À cet effet, niant la continuité de variation des forces et des mouvements dans la nature, peut-être même la valeur propre de la notion de ligne courbe (p. 520) sous prétexte qu’elle est irréductible pour notre esprit à la notion plus simple de ligne droite, il admet que les vraies lois physico-mathématiques devraient s’exprimer plutôt par des équations où entreraient de très-petites différences finies, indéterminables pour nous, que par les équations différentielles connues et acceptées de la science. À son point de vue, un atome dont la vitesse change de direction ne décrirait réellement pas une courbe, mais bien une série de petites lignes droites, imperceptibles, se succédant sans transition, par l’effet d’impulsions brusques et discontinues qui seraient

  1. Cours de mécanique de Duhamel, tome Ier, no 277, p. 327, J’avoue, en ce qui me concerne, que je n’aurais encore aucunement connaissance de l’exemple découvert par Poisson, si une certaine surprise qu’a causée mon article du 19 février 1877 (Comptes rendus de l’Académie des sciences, tome lxxxiv, p. 362) ne m’avait excité à fouiller dans les Recueils scientifiques pour y chercher des preuves à l’appui de mes propres recherches.