Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VII.djvu/675

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
669
straszewski. — herbart, sa vie et sa philosophie.

la vérité. Descendues de ces hauteurs, les deux directions opposées seront contraintes de chercher désormais une voie intermédiaire et un terrain commun. La philosophie de Hegel ne pouvait se maintenir, car elle était en collision continuelle avec une puissance bien plus formidable que la sienne : avec le savoir fondé sur l’expérience. D’un autre côté, ce dernier était trop jeune, trop peu développé encore pour se laisser enchaîner dans les bornes d’un système aussi dogmatique que celui de Comte, d’autant plus que son progrès et sa nature mêmes le forçaient à chercher des bases critiques beaucoup plus profondes que ne lui en fournissait la philosophie de ce penseur. Il s’accomplit donc un revirement, un retour décisif vers un terrain commun au sein de ces deux directions jusque-là hostiles.

L’expression de cette nouvelle tendance dans la direction empirique, c’est le positivisme anglais de nos jours. D’un autre côté l’idéalisme transcendant ne touche pas encore à sa fin, et déjà l’instinct critique s’éveille et produit de nouveaux rameaux, qui croissent et se développent à mesure que l’arbre de l’idéalisme dépérit. Le lecteur devinera facilement de qui nous voulons parler. Herbart est précisément ce penseur, qui au commencement de notre siècle avant que Fichte, Schelling et Hegel aient prononcé leur dernier mot, soumet à une épreuve critique les prémisses de leurs systèmes et mettant à nu leur faiblesse et leur vide, indique à la philosophie une voie moins périlleuse et prépare son développement futur au moment même où la chute du système de Hegel faisait croire à bien des esprits qu’elle ne s’en relèverait jamais. Voilà quelle est la position de Herbart dans l’histoire de la spéculation moderne.

Kant s’était proposé de concilier la philosophie spéculative avec la science. Il n’y réussit pas grâce à son attitude équivoque et chancelante. Herbart reprend cette tâche, et, tout en s’appuyant sur les fondements posés par le maître, il s’en acquitte avec un succès véritable. Pour concilier la spéculation à priori avec l’expérience il fallait définir la philosophie de manière qu’elle puisse être en même temps l’un et l’autre, c’est-à-dire un raisonnement reposant à la fois sur des idées et sur des faits. C’est ce que Herbart a précisément accompli en faisant de la philosophie une science ayant pour objet non-seulement les idées acceptées à priori, mais celles qui nous sont suggérées par l’expérience et qui par cela même sont des faits. De cette manière, la philosophie conserve son caractère spéculatif, ce qui ne l’empêche pas de devenir une science fondée sur un raisonnement positif, avec une sphère d’activité parfaitement distincte de celle des autres sciences : la sphère des idées qui n’en sont pas moins des faits véritables.