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éléments inconscients de l’inconscient. C’est ici surtout qu’il prête le flanc aux incisives et ironiques critiques de M. Franck. Voici comment, selon le philosophe allemand, les choses se passent entre la volonté et l’idée inconscientes associées dans le principe unique de l’existence. Un jour arrive, sans qu’on sache ni pourquoi ni comment, que l’accord cesse entre l’une et l’autre et qu’une lutte se déclare. L’idée qui ne doit l’être qu’à la volonté a l’ingratitude, comme dit M. Franck, de se détacher du sein maternel, c’est-à-dire de la volonté qui se propose de la réaliser. La volonté s’étonne, elle est stupéfaite de cet acte d’émancipation, et voilà comment la conscience naît, « La conscience, dit M. Hartmann, cité d’après l’exacte traduction de M. Nolen, exprime la stupéfaction que cause à la volonté l’existence de l’idée qu’elle n’avait pas voulue et qui cependant se fait sentir à elle. » Comment ne partagerions-nous pas un peu, avec M. Franck, cette stupéfaction de la volonté ? Ce qui suit d’ailleurs n’est pas propre à la faire cesser, ou même à la diminuer. Avec la conscience apparaît la matière organisée dont elle ne peut se passer : « La grande révolution est consommée ; le premier pas est fait vers l’affranchissement du monde. L’idée est émancipée de la volonté ; elle pourra s’opposer à elle dans l’avenir comme une puissance indépendante et la soumettre à ses lois après avoir été jusque-là son esclave. »

Dans tout cela, M. Franck croit voir comme un fragment de la théogonie des gnostiques. Sous les traits acérés de sa dialectique, rien ne reste de cette œuvre de pure imagination et de cette brumeuse mythologie. Non-seulement il ne voit là que pure fantaisie, mais un tissu de contradictions qu’il ne retrouve pas moins nombreuses dans la théologie de l’inconscient, et qu’il relève les unes après les autres. Pas davantage ne trouvent grâce devant la délicatesse de ses sentiments, comme devant sa raison, les grossières théories sur l’amour empruntées à Schopenhauer, ni la perspective d’un suicide universel de la volonté et du genre humain pour l’extinction radicale de la souffrance et pour terme final du progrès.

Laissons maintenant la philosophie allemande et la philosophie française pour la philosophie italienne, que nous avons mise la dernière parce qu’elle nous a paru la partie la plus intéressante de tout l’ouvrage. M. Franck n’a pas été le seul à analyser et à juger les divers philosophes que nous venons de passer en revue ; mais il est un des premiers qui nous ait fait connaître en France quelques philosophes italiens de grand mérite dont, non seulement les ouvrages, mais le nom même était presque ignoré parmi nous. C’est lui qui est aujourd’hui en France le principal correspondant et interprète de l’Italie philosophique[1]. Dans un volume précédent, Les moralistes et les philosophes, non moins intéressant et savant que celui-ci, il avait rendu compte d’un

  1. Il est juste de mentionner aussi divers articles de M. Peaussire sur la philosophie italienne.