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l’homme. Nous préférons à ces spéculations hasardées les réflexions qui suivent sur le développement des passions dans l’humanité elle-même et sur le rôle qui appartient dans l’histoire aux hommes passionnés. Ce sont de belles pages notamment que celles que l’auteur consacre à l’apparition de la pitié et de la charité dans le monde et à la forme enthousiaste que ces sentiments, comme tous les autres, revêtent à leurs débuts.

Amené à définir le principe des deux formes essentielles qu’il distingue dans la passion, la passion bonne, qui nous rapproche de l’idéal par l’exaltation et l’élan de nos facultés, la passion mauvaise, qui, par un mouvement irrationnel et une défaillance de notre nature, nous dégrade et nous rabaisse, M. Maillet présente une théorie qui n’est pas à l’abri de toute objection. La passion mauvaise lui paraît être le résultat de l’influence des causes efficientes ; la passion bonne, de l’influence des causes finales. « Ce qui est présent dans l’homme, lorsque des passions mauvaises et brutales le rejettent dans les formes inférieures de son activité, c’est la puissance réelle et objective de la nature, se manifestant par la loi de l’hérédité ou de l’atavisme ; c’est la force de l’humanité antérieure, encore vivante au fond de ses entrailles, avec toute la série des habitudes qu’elle a successivement contractées. Et, de même, ce qui est présent en nous, dans les passions généreuses, c’est a puissance divine de cette nécessité du progrès qui vit en toutes choses... » (p. 285). On voit quelle serait la conséquence singulière de cette généralisation absolue : le mal consisterait dans les habitudes acquises, le bien dans l’effort pour créer des habitudes nouvelles. Tout serait mauvais dans le legs du père, dans les acquisitions de l’hérédité, tout au contraire serait bon dans les aspirations vers des fins nouvelles. Il est évident que M. Maillet répudierait ces conséquences ultrarévolutionnaires : mais qu’elles soient contenues logiquement dans sa théorie, c’est ce dont on ne saurait douter. Ajoutons qu’il y a un véritable sophisme à imaginer un conflit, quelque chose comme la lutte de l’esprit du bien et du génie du mal, entre l’ordre des causes efficientes et l’ordre des causes finales, alors que les causes efficientes ne sont, si je puis dire, dans le système même de l’auteur, que des causes finales au repos et fixées par l’hérédité. Comment comprendre que les habitudes transmises par nos ancêtres doivent être maintenant mauvaises, pour cette seule raison qu’elles sont transmises, tandis qu’à l’origine et chez nos ancêtres elles devaient être bonnes, pour cette raison qu’alors elles se formaient sous l’action de la loi du progrès ?

Le livre IV, Rapport de la volonté et des passions, est avant tout un chapitre de morale, où sont recherchés les moyens de lutter victorieusement contre la passion. La question se réduit à savoir si, dans cette lutte, nous pouvons compter sur une volonté absolue ou seulement sur la force d’autres passions. L’auteur repousse ces deux hypothèses exclusives, ou plutôt essaye de les concilier, en distinguant deux degrés dans la volonté, d’une part la volonté comme noumène, comme