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M. Abbott, ont opposé de sérieuses difficultés à l’opinion reçue[1]. On voit que d’assez grandes autorités inclinent vers l’opinion de l’innéité, et nous espérons ne pas paraître trop téméraire en apportant quelques raisons nouvelles en sa faveur. Notre prétention n’est pas d’opposer affirmation à affirmation, mais seulement de présenter quelques doutes dont l’éclaircissement pourrait faire faire quelques progrès à l’étude des perceptions visuelles. Il ne faut pas toujours considérer les questions d’un seul côté. Il est souvent utile de supposer qu’une chose est fausse pour s’assurer qu’elle est vraie. Inutile de dire que, pour les précisions physiologiques, nous renvoyons aux auteurs compétents, notamment à Helmholtz pour l’une des opinions, à M. Giraud-Teulon pour l’autre. Nous nous bornerons aux considérations psychologiques.

Les raisons que l’on fait valoir généralement en faveur de l’opinion précédente se réduisent, si je ne me trompe, aux trois suivantes :

1o Les expériences faites sur les aveugles-nés opérés de la cataracte, expériences d’où il résulterait qu’au premier moment les opérés voient tous les objets sur le même plan ;

2o Les erreurs commises par les petits enfants dans leurs premières appréciations de la distance : l’enfant tend les bras vers une personne éloignée, comme si elle était près de lui ;

3o Les illusions de la peinture, qui nous font voir des profondeurs et des distances là où il n’y en a pas, comme dans les décors de théâtre : n’y a-t-il pas lieu de supposer réciproquement que nous n’en voyons pas réellement là même où l’expérience nous apprend qu’il y en a ?

À ces trois considérations, tirées de l’expérience, il faut en ajouter une autre, plus profonde et plus philosophique, donnée par Berkeley, le vrai auteur de la théorie dont il s’agit. Cette raison que nous développerons plus loin et que nous nous contentons ici d’indiquer, c’est qu’on ne peut pas voir la distance, parce qu’une distance n’est qu’un rapport, un intervalle, et qu’un rapport, un intervalle ne peut pas être l’objet d’une perception.

Avant de discuter ces diverses raisons, rappelons d’abord en faveur de l’opinion adverse, une raison capitale, tirée aussi de l’expérience et à laquelle il n’a jamais été fait de réponse satisfaisante.

  1. Haller est cité par Gratiolet comme ayant combattu la théorie berkeléienne (Anatomie comparée du système nerveux, t. ii, p. 437). Müller et Hering, et beaucoup d’autres (par exemple Volkmann), sont mentionnés par Helmholtz (Optique physiologique, trad. franc, p. 57). — M. Giraud-Teulon a exposé son opinion sur cette question dans la Revue scientifique, 1re  série, tome v, p. 222-239 : La vision binoculaire.