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peut-elle appartenir à un Dieu un ? Comment, étant passive, peut-elle appartenir a un Dieu dont l’essence est l’activité ? Il répond que la divisibilité et la passivité ne sont que des façons de penser, nous dirions des phénomènes. En lui-même, Dieu est cause, et cause immanente, causa immanens, non transiens : ce n’est donc pas être passif qu’être cause de sa propre passivité.

Nous ne connaissons de Dieu que deux attributs, l’étendue et la pensée. Quant aux autres qualifications que les hommes lui donnent, lorsqu’ils disent par exemple qu’il est unique, immuable, cause, providence, ce sont des dénominations extrinsèques, vraies seulement par rapport à eux : ce sont des propriétés, non des attributs. Parmi les propriétés, les principales, celles qui caractérisent l’action de Dieu sur le monde sont au nombre de trois : il est cause, providence et prédestinateur. La providence, immanente pour ainsi dire comme la cause, consiste dans l’effort universel que nous voyons dans les choses, par lequel elles tendent à conserver leur être. On voit que la providence ici fait double emploi avec le désir : le mot disparaît dans l’Éthique comme plusieurs autres que nous verrons plus loin.

Dans ce traité, on le voit, Spinoza parle encore quelquefois la langue commune^ mais il la parle à sa manière ; du signe et de la chose, le signe seul est resté : il ne restera pas longtemps.

La prédestination résulte du fait que Dieu ne saurait agir autrement qu’il n’agit et que tout le possible se réalise : il n’y a pas de choses contingentes. Objectera-t-on qu’il y a du mal dans le monde, et du mal moral ? Mais ni le mal, ni le péché ne sont rien de réel : ce sont des êtres de raison naissant du préjugé qui nous fait concevoir des types parfaits de chaque genre et leur prêter une existence chimérique.

La première partie du traité se termine par la théorie de la nature naturante et de la nature naturée, expressions que Spinoza, détail remarquable, emprunte, dit-il, aux thomistes, M. Janet remarque que l’auteur attribue ici à Dieu, comme mode éternel et infini, l’intellect, « faculté de connaître toutes choses en tout temps, clairement et distinctement, d’où résulte une félicité parfaite et immuable. » Il le lui refuse dans l’Éthique, comme trop humain, et ne lui laisse que la pensée impersonnelle. Cette remarque confirme ce que nous disions plus haut à propos du mouvement. Le spinozisme, dans son travail d’organisation intérieure, tendait à se débarrasser des entités, des concepts généraux : l’entendement, mode infini et éternel, appartenait à cette catégorie. Il n’y a pas là développement dans le fond, mais élaboration scientifique de la forme. De ce que le mode de l’entendement tend à disparaître dans ce travail, on ne saurait conclure que la pensée spinozienne alla du théisme au déisme, pas plus que la suppression de l’autre mode éternel, du mouvement, n’accuse un effort pour se dégager d’un naturalisme primitif.

Ici commence la deuxième partie du traité. Tandis que la première correspond au livre premier de l’Éthique, celle-ci correspond à elle