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analyses.spinoza. Dieu, l’Homme et la Béatitude.

seule aux quatre derniers. Aussi les théories de l’âme humaine, des passions et de leur esclavage, de la liberté, bien qu’arrêtées déjà dans leur fond, y sont-elles exposées beaucoup plus sommairement. Nous voyons d’ailleurs par la charmante lettre à Bresser éditée pour la première fois par M. Van Vloten (supplém., p. 303), qui nous montre sous un jour si net l’aimable et affectueux caractère de Spinoza, combien les dernières parties du grand ouvrage prenaient sous sa plume un développement inattendu. Dans le de Homine, la théorie de la nature de l’âme fait à peu près entièrement défaut ; il est vrai que nous retrouvons comme l’ébauche du deuxième livre de l’Éthique dans la seconde partie de l’appendice, de Mente humana. Sans s’occuper des modes du corps, Spinoza aborde ceux de l’âme, les idées et les passions. Par une rencontre remarquable, il reproduit la théorie platonicienne des quatre degrés de la connaissance : ouï-dire, expérience, foi vraie ou fondée sur le raisonnement, et connaissance claire et distincte, c’est-à-dire intuitive. Cette rencontre s’explique probablement par les études qu’il avait faites sur la philosophie du moyen-âge, en particulier sur la philosophie juive, comme son propre témoignage nous l’apprend dans le traité théologico-politique et dans les lettres. On retrouve d’ailleurs cette théorie avec les mêmes exemples dans l’Éthique et dans le de Emendatione.

Des deux premiers modes de connaissance naissent toutes les passions mauvaises, du troisième les bons mouvements de l’âme qui tendent à dominer les passions, mais sans pouvoir y réussir ; enfin le quatrième engendre le parfait amour, la liberté et le bonheur. Ici se place une théorie, très-incomplète, des passions, l’admiration, l’amour la haine, le désir. Dans l’Éthique, Spinoza ne s’en tient pas à ces passions principales, et, au lieu de reproduire comme ici l’explication cartésienne avec l’admiration pour point de départ, il fait dériver toutes les passions du désir, en le rattachant à l’effort que fait chaque être pour se conserver.

Sans s’arrêter à la théorie psychologique, l’auteur du de Homine aborde aussitôt la théorie des passions bonnes et des passions mauvaises. Dans la nature en général et dans celle de l’homme en particulier, il n’existe en réalité ni mal ni bien ; mais nous appelons de ces noms ce qui nous éloigne et ce qui nous rapproche de l’homme parfait, type de notre espèce. Il n’y a pas d’idéal pour l’individu isolé, mais pour l’espèce seulement. Spinoza le dit en propres termes. La raison de celte distinction n’apparaît pas d’abord ; mais il nous semble qu’on peut la deviner en lisant l’Éthique avec soin, et que nous sommes ici encore en présence d’une de ces idées que Spinoza n’a dégagées que peu à peu, incomplètement quelquefois, bien qu’il les ait possédées en quelque façon dès le principe. Pour parler plus juste, nous avons affaire à une de ces abstractions intermédiaires que le système éliminait comme un résidu inutile, en s’organisant. S’il ne peut y avoir de type de l’individu, pourquoi un idéal de l’espèce, et qu’est-ce que