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des traces d’un culte semblable. Les pierres qui attirent encore l’hommage superstitieux d’un grand nombre sont considérées généralement comme exerçant une influence bienfaisante sur la récolte et particulièrement sur la fécondité. Elles semblent donc plutôt les symboles subsistants du principe procréateur que des fétiches proprement dits. Mais voici des faits sur lesquels le plus léger doute ne saurait planer quant à leur correspondance avec le développement fétichique. Les habitants de l’île d’Inniskea, située sur la côte occidentale d’Irlande, adoraient en 1851 une pierre, soigneusement enveloppée de flanelle. A certaines époques, on la sortait de sa retraite pour lui rendre un solennel hommage. Quand une tempête s’élevait, on suppliait la pierre d’amener un navire sur les rochers de l’îlot afin de s’emparer des épaves. Voilà un fait de fétichisme absolument caractérisé. Il convient d’en dire autant d’usages observés en Norwège à la fin du siècle dernier. « Les paysans de certains districts gardaient précieusement des pierres rondes, qu’ils lavaient soigneusement tous les jeudis soir, qu’ils enduisaient de beurre devant le feu, qu’ils mettaient à la place d’honneur sur de la paille fraîche et qu’ils plongeaient dans la bière à certains moments de l’année, convaincus que ces pierres porteraient bonheur et santé à la maison et à ses habitants. »

Le culte de l’eau sous ses différentes formes offre de nombreuses particularités à son tour. Xerxès, dans une époque relativement rapprochée, se venge de l’Hellespont en le faisant battre de verges, puis il apaise son courroux en lui offrant un sacrifice propitiatoire. Les Romains ne manquaient pas d’élever un sanctuaire en l’honneur des sources thermales, culte dont nous retrouvons une variante moderne dans les dévotions de la Salette ou de Lourdes. Les sources, les lacs et les fontaines auxquels s’est attachée la piété publique se comptent par milliers, et il n’est personne qui n’ait connaissance de maint sanctuaire de cette nature légué par le fétichisme au paganisme et par le paganisme au christianisme, lequel s’est contenté d’en changer l’étiquette, n’osant pas s’attaquer franchement à une superstition dont l’influence lui a semblé tour à tour trop grande pour qu’il osât la combattre ouvertement, trop utile pour qu’il eût le courage de renoncer à en tirer profit. Tandis que le paysan tchèque fait une offrande expiatoire à la rivière souillée par un cadavre, il offre à son puits, au commencement de l’année, une partie des plats de sa table, en le priant d’être toujours abondamment pourvu d’eau. Au xviie siècle, le chef des Cosaques du Don insurgés, Stenko Razin, remercie le Volga de son précieux concours en précipitant dans ses flots une belle captive. Quand les poissons diminuent dans l’Obi, les Ostiaks et les Samoyèdes font appel à la bienveillance du fleuve en lui offrant un renne qu’ils précipitent dans l’eau avec une pierre au cou, don précieux auquel la divinité ne saurait manquer de répondre de la façon désirée. Les arbres ont provoqué aussi de tout temps les hommages. Quiconque a voyagé dans l’Orient a pu voir des troncs vénérables couverts d’amulettes ; sans