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A. Espinas. — Des Sociétés animales, étude de psychologie comparée, 2e édition, augmentée d’une introducrion sur l’histoire de la sociologie en général. Paris, Germer Baillière (Bibl. de phil. contemp., in-8o).

La Revue a fait connaître à ses lecteurs le livre de M. Espinas à l’époque de sa publication. La nouveauté du sujet et la manière dont il était traité promettaient à l’auteur un succès qui ne s’est pas fait attendre. Cet ouvrage a été accueilli à l’étranger[1] aussi bien que chez nous. L’appréciation de juges compétents et une traduction allemande par M. Schlœsser, qui va bientôt paraître, en font foi.

Dans cette deuxième édition française, M. Espinas a ajouté divers appendices, dont l’un, consacré à la théorie des individualités, est traduit du Manuel de zoologie de Jaeger : mais l’addition capitale est une longue introduction (155 pages) consacrée à l’histoire de la sociologie depuis l’époque grecque jusqu’à nos jours.

Ce morceau donne à l’ouvrage sa signification véritable et en détermine la portée. L’auteur en effet, en abordant l’étude des sociétés animales, champ si peu exploré en dehors des naturalistes, s’est proposé de contribuer à l’étude de la sociologie humaine. « C’est, dit-il, une tentative aussi vaine que fréquemment renouvelée que celle de découvrir les lois de la vie sociale dans l’homme, indépendamment de toute comparaison avec les autres manifestations de la vie sociale dans le reste de la nature. Mais, il faut le reconnaître, un simple rapprochement ne suffit pas : une étude approfondie des deux termes de la comparaison (les sociétés humaines, les sociétés animales) est la condition préliminaire indispensable d’une détermination exacte de leurs rapports. Voilà pourquoi nous portons cette fois toute notre attention sur les sociétés animales. Quand la connaissance expérimentale des sociétés humaines sera assez avancée, la comparaison pourra être fructueuse, et une généralisation destinée à embrasser les unes et les autres sous une même loi sera tentée avec quelque chance de succès. »

On ne s’étonnera donc pas de voir l’auteur, à propos des animaux, passer en revue les diverses solutions qui ont été données de ce problème : Qu’est-ce qu’une société d’hommes ? Ce problème, dit-il, a été posé en Grèce par les Sophistes. Quoique leur doctrine ne nous soit connue que par Platon, leur ennemi, nous avons lieu de croire qu’ils ont exprimé pour la première fois cette idée « que l’organisation sociale est un fait de nature qui se produit sinon au hasard, du moins spontanément et qui est antérieur et supérieur aux conventions humaines. »

Fait de nature ou œuvre artificielle soumise aux seules lois de la logique : telles sont les deux conceptions contraires qui, avec beaucoup de variétés de formes et de compromis, résument l’histoire de toutes

  1. Voir le Mind de janvier 1878 ; la Vierteijahrsschrifl f. w. Philosophie (1878, 2e liv.), art. de Wundt dont nous avons donné l’analyse ; les Philos. Monatshefte, xiv, 3e liv.