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nolen. — les maîtres de kant

l’Anthropologie, il en fera l’une des lois du progrès social. Citons un passage du premier de ces écrits : « Parmi les forces qui mettent en mouvement le cœur humain et qui sont en conflit, distinguons l’amour-propre, qui rapporte tout à soi, et l’amour du bien général, qui nous porte vers les autres hommes. Newton appelait gravitation la sûre impulsion qui rapproche les uns des autres tous les éléments de la matière. Le sentiment moral ne serait-il pas le sentiment de la dépendance où la volonté individuelle est placée vis-à-vis de la volonté générale, et comme une conséquence de cette action réciproque de toutes les volontés, qui assure l’unité morale du monde des esprits ? »

L’opposition des forces réelles, sur laquelle repose la théorie des grandeurs négatives, n’explique pas seulement la vie du monde ; elle permet d’établir sur des preuves nouvelles et des fondements plus solides le grand principe leibnizien de la conservation de la force. La constance de la force repose sur le jeu de forces contraires, qui se contiennent et s’excitent réciproquement. La transformation continue des forces naturelles n’est, en dernière analyse, que le changement de la force de tension en force vive et vice versa. Ce n’est point, par conséquent, la somme des forces vives, mais celle des forces vives et des forces de tension tout à la fois, qui doit être considérée comme invariable. Les vues de Kant sur ce sujet devancent les découvertes de notre théorie mécanique de la chaleur. Pour maintenir le principe de l’unité de la nature, il incline à supposer que la chaleur, la lumière, l’électricité et le magnétisme sont les manifestations d’une matière unique et les mouvements divers d’un même éther[1].

Toutes les ingénieuses ou profondes études de Kant sur les oppositions réelles dans la nature se résument dans une conclusion capitale : c’est que la métaphysique n’a pas encore su expliquer la notion de cause. « Qu’on cherche à expliquer clairement pourquoi, parce qu’une chose est, une autre doit disparaître, ou encore pourquoi, parce qu’une chose est, il est nécessaire qu’une autre soit… Je comprends très bien comment une conséquence découle d’un principe d’après la loi de l’identité, puisqu’il suffit d’analyser le concept de l’un pour en faire sortir l’autre. Ainsi la nécessité entraîne l’immutabilité ; la composition, la divisibilité ; l’infinité, l’omniscience. Mais comment une chose dérive d’une autre, non plus en vertu de la loi de l’identité, c’est là ce que je voudrais que l’on m’expliquât. » Et il termine par ces lignes : « J’ai réfléchi sur la nature de

  1. Dieterich, p. 57 et 192.