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LE DUALISME DE STUART MILL



S’il était besoin d’une preuve que l’esprit humain ne saurait se désintéresser entièrement des problèmes relatifs à l’existence d’une cause première, d’un principe créateur ou ordonnateur de toutes choses, il suffirait d’invoquer l’exemple de Stuart Mill. Certes, nul plus que lui ne fut attaché à la méthode expérimentale ; nul n’en détermina mieux les conditions, la portée, les limites ; il fut rigoureusement positiviste, refusant, malgré une longue amitié, de suivre Auguste Comte dans ce mysticisme chimérique et puéril par lequel ce grand esprit donnait un affligeant démenti à toute sa doctrine antérieure. Et pourtant, la question de Dieu fut la dernière préoccupation de Stuart Mill, puisqu’il composa l'Essai sur le théisme quelques années seulement avant sa mort. En conclura-t-on que, sur la fin de sa vie, il devint, à son tour, infidèle à sa propre méthode ? En aucune façon ; mais il lui parut que le problème religieux pouvait être posé scientifiquement ; il se demanda ce que l’expérience, convenablement interrogée, laisserait subsister du théisme traditionnel, et, par cette enquête, il a rendu un service qui, selon nous, n’a pas été suffisamment apprécié jusqu’ici. Sa critique, en effet, d’une indiscutable sincérité, sévère plutôt que complaisante, a bien pu ébranler certaines preuves d’une solidité douteuse, mais n’a pas détruit l’antique et populaire argument des causes finales ; si elle nie l’existence d’un créateur de la matière, elle s’incline devant les marques éclatantes d’une sagesse ordonnatrice de l’univers. En face des négations bruyantes et radicales qui prétendent se réclamer de la science positive, ce témoignage d’un positiviste, à qui l’on ne saurait refuser ni la culture scientifique, ni la rigueur du logicien, mérite assurément d’être recueilli. C’est, si l’on veut, un minimum de théisme ; mais il n’est pas indifférent que ce minimum soit accordé par un esprit tel que Stuart Mill, au nom même de la méthode expérimentale, exactement appliquée.

Nous nous proposons, dans ce travail, de rechercher si ce minimum ne doit pas être agrandi, si quelques-unes des preuves