Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, VIII.djvu/149

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
143
carrau. — le dualisme de stuart mill

croissent ! Tous les travaux de la science moderne tendent à faire admettre que la nature a pour règle générale de faire passer par voie de développement les êtres d’ordre inférieur dans un ordre supérieur et de substituer une élaboration plus grande et une organisation supérieure à une inférieure. Qu’il en soit ainsi ou non, il n’en existe pas moins dans la nature une multitude de faits qui présentent ce caractère, et cela suffit pour la question qui nous occupe[1]. »

Voulût-on d’ailleurs maintenir en face du témoignage de l’expérience la légitimité du principe intuitif, on n’en serait pas plus avancé. Expliquer l’esprit par l’esprit, ce n’est que reculer la difficulté ; l’esprit créateur a autant que l’esprit créé besoin d’un autre esprit qui soit la source de son existence. D’esprit en esprit, de cause en cause, il nous faut remonter à l’infini ; nulle raison pour s’arrêter à un point quelconque de cette série régressive. Un Esprit éternel n’est qu’une hypothèse, et la question reste tout entière. Telle est, dans ses traits essentiels, cette remarquable discussion sur la preuve cosmologique. On voit clairement l’importance pratique du dualisme auquel elle conclut. Le mal qui surabonde dans la nature, Dieu n’en est plus responsable ; il a fait son possible, il est innocent. L’homme a désormais mieux à faire qu’à maudire ou à se résigner : il peut devenir le collaborateur de la Providence dans ses louables efforts vers le mieux ; il peut, par ses faibles forces, prêter un concours appréciable à la puissance gigantesque, mais limitée, qui lutte contre ce principe aveugle où Stuart Mill, comme Plotin, voit l’essence même du mal, la matière.

II

Dans ces débats qui, depuis qu’elle existe, remplissent la métaphysique, on ne peut espérer que, de part ni d’autre, se produise quelque argument absolument nouveau. La critique de Stuart Mill est pénétrante ; mais ses objections, s’il a su leur donner une forme et comme un accent personnels, on les avait présentées avant lui. De même en est-il des réponses à ces objections. Ou bien elles sont faites depuis longtemps, ou bien il faut renoncer à les trouver jamais. Pourtant les notions, plus précises et plus exactes, que la science positive permet de concevoir sur la matière, fournissent au défenseur du théisme traditionnel des armes d’une trempe meilleure et d’une efficacité renouvelée.

Stuart Mill en appelle à l’expérience contre la légitimité de la preuve cosmologique ; c’est également l’expérience, ce sont du

  1. P. 142-143.