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carrau. — le dualisme de stuart mill

ports ne sont pas des êtres ; ils n’ont d’existence qu’à titre d’abstraction de la pensée et dans l’esprit qui les pense. Je ne veux pas dire que l’esprit humain crée en quelque sorte les lois de la nature ; elles ont une réalité objective, en ce sens qu’elles sont pour nous l’expression d’un ordre que nous ne faisons pas ; mais qui veut bien analyser cette idée d’ordre voit clairement que l’ordre ne saurait proprement exister que dans et par une intelligence. Ce n’est en effet que pour l’intelligence qu’il y antécédents et conséquents, identité et différence, rapport en un mot, et si l’ordre suppose tout cela l’ordre est vraiment l’œuvre de l’esprit. Et, si l’esprit humain a cependant conscience de ne pas tirer de son fonds les lois de la nature, il reste qu’il les découvre, à travers les faits donnés dans l’expérience, non pas comme des éléments de l’univers, mais comme les formes d’une pensée analogue à lui-même, que l’univers ne contient ni n’explique et qui seule les rend intelligibles.

IV

Avoir établi contre Stuart Mill que l’univers tout entier est un effet, c’est, semble-t-il, avoir placé au-dessus de toute objection la validité de l’argument cosmologique. Cependant plus grand est l’objet dont il s’agit de démontrer l’existence, plus nous devons nous montrer exigeants pour la preuve. Il faut en soumettre toutes les parties à une critique minutieuse et s’assurer que nulle part elle ne fléchit sous le poids d’une conclusion qui n’est rien de moins que Dieu même.

Or toute la force de l’argument dépend de la légitimité du principe qu’on appelle principe de causalité et dont Stuart Mill a donné cette excellente formule : Tout événement ou changement provient d’une cause. Il importe en effet de bien marquer que le changement seul, en tant que tel, implique aux yeux de notre raison l’existence d’un antécédent qui en soit la raison suffisante. Aussi tout l’effort de la discussion précédente a-t-il eu pour but de montrer que nous ne connaissons rien dans l’univers qui ne soit événement ou changement.

Mais ce principe même, tel qu’il est énoncé par Stuart Mill, ne soulève-t-il aucune difficulté ? Loin de là, et c’est par où l’argument cosmologique nous paraît le plus vulnérable.

Et tout d’abord Stuart Mill n’a pas manqué de reproduire la vieille objection de la régression à l’infini des causes. L’expérience, dit-il, nous révèle bien que tout changement a une cause ; mais elle nous fait voir aussi que cette cause est elle-même un changement anté-