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« L’hypothèse d’une action à distance est rigoureusement d’accord avec ce que l’observation nous apprend des phénomènes électriques ; mais on obtient le même accord en partant de l’hypothèse contraire d’une action propagée à travers un milieu. Pourtant les deux hypothèses ne peuvent exprimer à la fois la vérité. L’hypothèse d’un fluide impondérable, le calorique, était la base de l’expression mathématique des lois du rayonnement, de la transmission, de la réfraction et de la polarisation ; elle a été remplacée depuis par l’hypothèse de vibrations moléculaires. »

Donc à rigoureusement parler, la matière ne nous est connue que par les sensations que nous en avons. Ce qu’elle est en soi, nous ne pouvons que l’imaginer, en prolongeant idéalement, pour ainsi dire, notre expérience au delà du champ où l’enferment les conditions de notre être. Dynamisme et atomisme (la théorie de l’éther n’est qu’une forme particulière de cette dernière hypothèse) sont également légitimes, en tant qu’ils s’expriment abstraitement, l’un l’activité, l’autre la passivité de l’existence extérieure ; ils sont vrais tous les deux, puisque dans l’objet commun de nos sensations le caractère passif et le caractère actif sont réellement inséparables ; mais ils ne sauraient prétendre à nous révéler quoi que ce soit de la nature absolue de cet objet. Cet absolu, répétons-le, nous fuit d’une fuite éternelle : la matière n’est pour nous que ce que nous sentons ou sommes capables de sentir. Nul ne l’a proclamé plus haut que Stuart Mill, qui définit la matière une possibilité de sensations. — Mais, s’il est ainsi, où trouver dans l’univers physique rien qu’on puisse concevoir avec quelque ressemblance comme soustrait à la loi de causalité ? Tout, dans le champ de l’expérience, n’est-il pas mouvement, changement, métamorphose, et, si profondément que plonge la science dans les abîmes du passé, peut-elle jamais se prendre à quelque chose qui n’ait pas eu d’origine ? C’est d’hier que date à ses yeux l’éternité des Alpes ; elle assiste à la genèse de la terre et du système tout entier dont celles-ci n’est qu’un point ; et par delà la nébuleuse primordiale, d’où le soleil et ses planètes sont sortis, elle est contrainte de supposer je ne sais quelle vapeur plus diffuse encore sans pouvoir saisir nulle part dans la nature le commencement de ces étonnantes démarches. Οὐδὲν μένει, rien ne demeure ; ce mot de la sagesse antique, chacune des conquêtes de la science dans le domaine de l’univers physique lui donne une nouvelle confirmation.

On dira que les lois au moins sont immuables. — Assurément ; mais les lois sont des rapports constants entre certains phénomènes et d’autres phénomènes qui sont les conditions de ceux-ci. Des rap-