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fouillée. — la philosophie des idées-forces

postulat d’Euclide faux, et on a construit une géométrie sans ce postulat. Tous ces paradoxes scientifiques sont utiles, et non moins utiles seraient les paradoxes philosophiques étudiés méthodiquement. Ils nous en apprendraient plus sur les éléments essentiels des doctrines que tous les lieux communs dans lesquels se traîne une philosophie prudente ; on décerne tous les jours des prix de lieux communs, on devrait aussi décerner quelques prix de paradoxe, d’autant plus que le paradoxe d’aujourd’hui est souvent la vérité de demain. Nous proposerions donc comme second procédé d’une méthode complète la construction de systèmes-types ayant pour but soit de résumer la réalité, soit de développer une hypothèse imaginaire. Sur ce point comme sur le précédent la conciliation serait possible entre les philosophes, puisqu’on ne sortirait pas encore de la pure logique et qu’il ne s’agirait que de vérifier la rigueur des déductions, sans apprécier encore la valeur des principes.

III. Nous arrivons à une partie plus difficile de la tâche. Une fois qu’on a ramené tous les systèmes particuliers à leurs systèmes-types ou générateurs, — comme le naturalisme ou l’idéalisme, le matérialisme ou le spiritualisme, — il faut procéder à l’analyse et à la critique des principes de chaque système. C’est le troisième procédé de la méthode. Pour cela, il faut se référer aux données de la conscience ou de la science. Le principe d’un système est toujours un fait ou une notion qui a sa valeur et sa vérité au moins partielle. Il est clair par exemple que l’égoïsme, dont La Rochefoucauld a fait l’unique ressort de notre machine, est une passion très réelle ; la seule question est de savoir si c’est le ressort unique et primitif qui meut l’homme. La notion de l’étendue, la notion de la pensée ont aussi leur vérité ; il s’agit seulement de savoir si tout le monde extérieur et tous ses mouvements se ramènent à l’étendue et à ses relations, si tout le monde intérieur et tous ses changements se ramènent à la pensée et à ses relations. Or il ne faut pas prendre une observation partielle pour une observation totale, une notion bornée pour une explication universelle. C’est là un point sur lequel on ne saurait différer d’avis. Mais la vraie difficulté, dans l’analyse des principes, consiste à déterminer les limites exactes d’un principe et le point où il est insuffisant. Cette sorte de critique négative, qui fait le fond de ce qu’on nomme la réfutation d’un système, exige une réserve à laquelle on ne s’astreint pas assez. Il importe, en effet, de faire ici une remarque qu’on oublie d’ordinaire : c’est que les limites du principe qu’on déclare insuffisant sont souvent moins clans les choses mêmes que dans notre intelligence ; celle-ci, en effet, ne peut pousser les conséquences et les applications d’un