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baudouin. — histoire critique de jules césar vanini

dans le luxe et l’abondance. On venait enfin de le débarrasser de ce qui lui restait de scrupules ; mais, comme on allait le baptiser, il prit la fuite ; on le rattrapa Les Anglais d’alors, suivant Vanini, avaient pour ceux de celte race une haine si vive qu’ils s’emportaient journellement contre les princes d’Italie qui les autorisaient à résider dans leurs Etats[1]. Heureusement pour le faux catéchumène, le roi était plus indulgent que ses sujets et pardonna.

Vanini lui-même ne tarda pas à éprouver le bienfait de cette tolérance de Jacques Ier. Revenu à Londres avec son compagnon, leur situation déjà déplorable n’avait fait qu’empirer. Au commencement de l’hiver, tous deux étaient malades de privation ?, de froid et aussi, je pense, de chagrin. Chamberlain écrit le 25 novembre 1613, à sir Dudley, qu’ils ne vivent plus que des charités de leurs connaissances et de leurs amis.

De ces amis, dont le nombre ne pouvait pas être grand, Vanini en nomme un dans ses Dialogues : c’était Jérôme Moravi, chapelain de l’ambassade de Venise à Londres. Il en parle comme d’un excellent homme, et raconte qu’il a été son confesseur. Est-ce vrai ? Cela est du moins possible. Il s’était fait anglican pour avoir un bénéfice ; il a bien pu, dans l’excès de sa misère, se confesser pour avoir du pain.

Par intérêt et par reconnaissance, il continua de voir Moravi lorsqu’il fut guéri. Très probablement, certains sectaires en conclurent « qu’il était retourné à son vomissement » et le dénoncèrent. Cela seul peut expliquer — car après le 25 novembre on n’a plus de lettres de Chamberlain — pourquoi Vanini, qui n’avait rien à craindre, ce semble, puisqu’il était devenu protestant, fut arrêté et jeté dans un cachot en compagnie de prêtres et de religieux qui ne s’étaient pas assez souvenus de l’édit de 1610. Il y resta 49 jours, avec la perspective — c’est lui qui le dira plus tard — du gibet sur la terre et de la couronne de gloire dans les cieux. Si on l’écoutait, et l’on n’a eu longtemps que son témoignage, il n’aurait tenu à rien que le misérable Lucile Vanin du P. Garasse ne fût le bienheureux Vanini, apologiste, confesseur et martyr. Un peu plus de rigueur dans l’application de la peine qu’il avait encourue, il eût pas ? é objet d’oraison et fût devenu le héros d’une légende attendrissante. Ainsi la bonté du souverain l’aurait dérobé aux larmes pieuses des hagio-

  1. Nombre de voyageurs se sont récriés contre l’existence des ghetti : ils ignoraient sans doute que les juifs avaient jadis acheté fort cher aux princes d’Italie de droit d’être parqués de cette façon. Grace à la taxe qu’ils payaient, ils étaient là chez eux, suffisamment protégés, libres de pratiquer leur religion et de vivre à leur guise. On voit qu’en 1613 ils n’auraient pu obtenir à aucun prix le même avantage en Angleterre.