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graphes. La vérité est qu’on ne jugea pas à propos de pendre ni lui ni ses compagnons ; on se contenta de les embarquer et de les renvoyer chacun dans son pays.

Vanini prit passage sur un bâtiment marchand qui le conduisit d’abord à Rouen, où il vit la procession de la fierté de saint Romain[1], et de là à Bayonne[2]. Pendant que les gens du bord y vaquaient à leurs affaires, il alla, pour occuper son loisir, se promener le long de la mer, du côté de Capbreton qu’il appelle Capherton, J’avoue qu’un petit garçon (puerulus meus), que je trouve ici en sa compagnie, m’embarrasse. Evidemment cet enfant n’était pas du pays, car il avait peur que les grandes vagues qui déferlaient sur le rivage ne vinssent à le couvrir tout à fait. Pour le dire en passant, notre philosophe n’était guère plus rassuré, et il a l’air de croire que c’est le vent de terre qui l’a sauvé en faisant obstacle à l’eau[3]. Qui était-ce donc que ce garçonnet ? Un fils adoptif ou un domestique ? Ce serait fun et l’autre si c’était le même que ce jeune Tarsius[4], à la fois élève en philosophie et petit laquais dont le babil spirituel, la curiosité et les espiègleries égayent les Dialogues, et qu’on y voit s’amuser avec Jules César de la crédulité d’Alexandre.

De Bayonne, Vanini se rendit par mer à Marseille[5], où il crut remarquer dans le port un mouvement à peine sensible de flux et de reflux. Il ne s’y arrêta pas et se dirigea vers Gênes, en passant par Nice[6], qui appartenait alors au duc de Savoie. Le philosophe professe pour ce prince, dans les Secrets de la nature, une estime et une admiration sans bornes. Veut-on savoir pourquoi ? C’est que Charles-Emmanuel n’avait pas dédaigné de donner la croix de Saint-Lazare au cavalier J.-B. Marino, l’auteur de l’Adone, un simple poète, Napolitain comme lui, et son ami. Mais, pour les Niçois, c’est autre chose. Que pouvaient-ils bien lui avoir fait pour qu’il les déclare indignes d’être les sujets d’un si grand prince, et qu’il appelle leur ville « la sentine des plus fieffés coquins » ? On croit entrevoir qu’ils s’ameutèrent contre lui. S’ils ne lui firent pas de mal, ce fut sans doute parce qu’il leur échappa, car il raconte qu’il fut poursuivi et qu’il passa une nuit dans une cabane, au milieu des champs, l’oreille tendue et l’œil ouvert, tout prêt à fuir s’il avait aperçu, à la clarté des étoiles, les larrons dont il avait peur[7]. Je suppose, sans tenir aucunement à cette conjecture, qu’il y avait dans

  1. De arcanis.
  2. De arcan., p. 128.
  3. De arcan., p. 128.
  4. De arcan., p. 168, 350, 351. Tarsius est, je pense, l’équivalent de Paul ou de Paolo.
  5. De arcan., p. 117.
  6. De arcan., p. 164, 376, 377.
  7. De arcan., p. 376, 377.