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réputation de martyr de la philosophie qu’on avait faite à l’auteur. Après s’y être quelque peu embourbé, n’y trouvant pas ce qu’il attendait, les malheurs de Vanini cessèrent de l’intéresser, il en rit : « Je suis fâché qu’on ait cuit ce pauvre Napolitain ; mais je brûlerais volontiers ses ennuyeux ouvrages[1]. » Qu’aurait-il dit, grands dieux ! s’il avait aperçu au beau milieu de l’avis au lecteur, ce dithyrambe à l’honneur de la compagnie de Jésus :

« Les hérésies sont en décadence ; mais pourquoi ? C’est que les puissants héros de l’Église militante, ceux que nous appelons la Société de Jésus, tendent, pour les battre et les confondre, tous les ressorts de leurs corps et de leurs esprits ! Combien de fois Valentia, Bécane, Douchez, Suarès et tant d’autres frères d’armes de la très-sainte Compagnie n’ont-ils pas combattu pour la religion catholique ! Aussi, on me l’entend souvent dire, mes préférences sont pour eux. Les autres ordres religieux brillent sans doute et se maintiennent par la pureté des mœurs, la connaissance des sciences, la réunion des vertus les plus parfaites ; mais la Société de Jésus, c’est la mère même et la nourrice de la piété et du savoir ; c’est l’ornement, la splendeur, que dis-je, le palladium de l’Église romaine, c’est, par la grâce du Dieu éternel, l’arc-boutant des autres ordres et l’ancre de la catholicité[2]. »

Cette rhétorique, qui paraît si étrange sous la plume d’un philosophe prétendu, est comme la clef de l’Amphithéâtre et indique suffisamment dans quel ton il a été écrit. S’il a été fait, comme quelques-uns l’ont imaginé, pour attaquer la foi catholique sous prétexte de la défendre, à quoi bon tant d’hyperboles ! Est-ce que les Jésuites auraient pu s’y tromper’? Ils ne sont pas de ceux que l’on endort avec des louanges. Croit-on qu’ils seraient ce qu’ils sont, si l’ombre de leur amour-propre pouvait leur dérober l’aspect vrai des choses ? Ne sait-on pas que le meilleur de leur force consiste à reconnaître, à deviner ce qui convient, ce qui nuit à leur dessein ? La meilleure preuve que l’Amphithéâtre n’avait pas de quoi leur être suspect, c’est qu’ils ne l’ont pas fait mettre à l’index, même après la tragédie du 9 février 1619. On reconnaît là leur impassible savoir-faire[3]. Peu leur importait que Vanini les eût induits en erreur sur sa personne, l’Église n’en avait pas souffert. En définitive, il n’avait réussi à les abuser qu’en se déguisant à leur mode, en mettant son

  1. Voltaire, Correspondance générale, lettre 334, à l’abbé d’Olivet.
  2. Amphith., avis au lecteur, p. 3.
  3. Il n’est pas compris dans l’Index librorum prohibitorum, Innocentii X. P. M. jussu, edictus, usque ad annum 1681. Romæ, 1704. Les Dialogues sont prohibés, mais seulement donee corrigantur.