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baudouin. — histoire critique de jules césar vanini

le plus : ils se flattaient d’en avoir arrêté le progrès. Mais ils avaient bien autrement peur de l’irréligion. Leurs missionnaires, qui avaient rencontré en Chine, au Japon, dans l’Inde et en Tartarie, cette négation redoutable, la retrouvaient maintenant en Europe et jetaient le cri d’alarme[1].

La vie calme, mais contrainte, stérilement laborieuse, à peine égayée, que lui imposait son mauvais destin, ne faisait pas, on s’en doute, l’affaire de Vanini. Ce n’était pas sans chagrin qu’il se voyait presque revenu à son point de départ ; il s’impatientait de ne pouvoir donner un objet sérieux à son ambition. Le souvenir de Paris, où il avait failli être si heureux, l’obsédait. On a la mesure de ses regrets dans l’ardeur de haine dont on le voit poursuivre, précisément pendant son séjour à Gênes, la mémoire de ce malheureux Silvius, qui avait été cause de sa fuite en Angleterre[2]. À force de prendre sa situation présente en dégoût, l’idée lui vint de chercher les moyens de s’en tirer à son avantage ; et, une fois venue, ne cessa pas de faire travailler son esprit. Il ne s’agissait pas, bien entendu, de quitter Gênes pour aller dans une autre ville d’Italie, au hasard d’y être mieux ou plus mal. Il fallait bien autre chose pour satisfaire ses désirs et ses espérances. Ce qu’il souhaitait, c’était de rentrer en France, d’y demeurer sans danger, d’y retrouver ses anciens horizons. Mais y avait-il au monde une puissance capable de l’y ramener dans ces conditions ? Oui sans doute, et même cette puissance n’avait rien d’occulte et d’inaccessible. Vanini pouvait la voir et l’approcher tous les jours : c’était la compagnie de Jésus. Il n’y avait rien de si connu que le crédit dont elle jouissait au Louvre auprès de la reine régente et des ministres. Avec son aide, car on ne pouvait espérer rien de plus, il serait peut-être malaisé, il n’était nullement impossible d’obtenir des lettres d’abolition pour le meurtre de Silvius. Mais comment s’en faire une amie effective ? Comment se procurer son attache ? — Vanini résolut la question en écrivant l’Amphithéâtre.

Il est inconcevable que ce verbiage scolastique, qui, s’il n’est orthodoxe, a bonne intention de l’être, ait jamais pu passer pour l’œuvre d’un philosophe ; mais c’est l’effet ordinaire de la prévention. Une foule de gens l’ont flairé, retourné, puis doctement, comme l’ours de la fable, ont déclaré qu’il sentait le fagot. Je le crois bien ! ils pensaient au bûcher de la place du Salin. Voltaire, lui, ne s’y laissa pas tromper. Il s’était hasardé à lire l'Amphithéâtre sur la

  1. Amphith., avis au lecteur, p. 1.
  2. Amphith., p. 285.