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stante polémique contre des adversaires acharnés, ont trop perdu de vue, se rejetant sur la formule insoutenable que nous avons écartée, le retour au christianisme primitif vrai, savoir au christianisme de Jésus. — Je le veux bien, mais à cette condition que l’on cherche la « religion de Jésus î non pas dans les fragments de l’histoire qui appartiennent au savant, mais dans les effets religieux actuels constatés et éprouvés au sein des différentes Églises chrétiennes.

Ces effets, le dogmatiste doit les étudier par l’analyse psychologique, les noter exactement, les passer au crible de la critique pour en vérifier la portée. Puis il les mettra en rapport avec les résultats de la pensée moderne, en tenant, cela va sans dire, un très grand compte des formes adoptées par ses prédécesseurs. Car pour qui travaille-t-il ? Pour des contemporains qui ont vu, presque tous associées, dans leur enfance, les idées dogmatiques du passé aux impressions religieuses. Je demande la permission de reproduire ce que j’écrivais à cet égard il y a trois ans : « À la loi de la continuité (par laquelle nous écartons le miracle) se rattache intimement, disions-nous, celle de l’évolution, par laquelle nous affirmons qu’au moyen de transformations successives, par une adaptation de la doctrine du passé aux besoins du présent, chaque âge se crée à lui-même l’ensemble des idées religieuses et morales qui doivent satisfaire sa conscience et sa pensée. Cette thèse qui a permis à des écrivains ouvertement hostiles à la religion de rendre pleine justice au christianisme du moyen âge et à son magnifique effort intellectuel, est au fond essentiellement conservatrice. » — « Il est incontestable, disions-nous encore, que la Bible — et en particulier le Nouveau Testament, document de la première expression dogmatique du christianisme, qui fut l’œuvre apostolique — est appelée à conserver une valeur exceptionnelle. À chaque époque, l’Église a le devoir de définir la substance de ce qu’elle trouve dans la Bible, c’est-à-dire au fond ce même et unique dogme de la justification par la foi ou de la rédemption qui est à la base de tous les grands systèmes dogmatiques chrétiens ; elle a le devoir de le définir, dis-je, de le définir conformément aux besoins intellectuels du temps, lesquels se modifient d’après le progrès général des sciences et de la philosophie, tandis que le sentiment religieux peut être considéré comme étant le même à toutes les époques. Dans l’élaboration de cette définition, elle doit donner une attention exceptionnelle à la théologie apostolique… À côté d’elle, quoi qu’à un degré inférieur, se placera la dogmatique du xvie siècle… » Personne ne s’étonnera de voir appliquer dans une Église une règle qui est pratiquée dans toute école philosophique sérieuse, où, à côté de l’importance donnée aux traits généraux de la doctrine adoptée dans l’école, trouve place la faculté d’en accommoder le principe aux besoins nouveaux.

Convient-il d’ajouter encore quelques règles de bon sens pratique ? Une Église se compose d’un grand nombre d’individus dont les besoins intellectuels et religieux sont loin d’être les mêmes. C’est à ses chefs à tenir compte de celte condition, en ménageant les scrupules légitimes des uns