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fouillée. — la philosophie des idées-forces

trouvait du profit à la contradiction, comment pourrions-nous ne pas savoir gré à nos contradicteurs ? Commençons donc par remercier de leurs critiques « les personnes habiles et modérées ». Nous ne nous bornerons pas à résumer leurs objections ; nous les systématiserons, et nous nous en adresserons d’autres nous-même.

Scepticisme, hégélianisme, fatalisme, inexactitude logique, éclectisme, ainsi peuvent se résumer les reproches dirigés contre la méthode que nous venons d’exposer. — Scepticisme. Selon M. Renouvier, le plus fécond et le plus infatigable des critiques, nous aurions nié « qu’il existe des réfutations, parce que tout est vrai, tout est faux, suivant le côté par où se regarde la chose[1]. » Il y a ici malentendu. Où avons-nous dit que tout fût vrai et faux ? Nulle part ; nous n’avons jamais parlé de concilier les doctrines dans leurs erreurs, mais « seulement dans leurs vérités[2] ». Sceptique, oui, nous pensons qu’il faut l’être en une certaine mesure ; nous le sommes à l’égard des systèmes exclusifs qui se prétendent en possession de l’absolu, soit pour des raisons intellectuelles, soit même pour des raisons morales ; car nous nous défions du dogmatisme moral comme du dogmatisme intellectuel. Nous ne nous figurons pas, comme l’enfant dont parle saint Augustin, qu’une petite coquille remplie d’eau de mer soit la Méditerranée, que la Méditerranée soit l’Océan, ni l’Océan toute la terre, ni la terre le monde ; nous ne croyons pas à l’immensité de ce qui a des rivages, et nous pensons que les rivages mêmes sont mobiles comme tout le reste. M. Renouvier craint que notre méthode de conciliation à l’égard d’autrui ne nous empêche d’avoir pour notre compte « une doctrine arrêtée en philosophie ». Si l’on entend par doctrine arrêtée un système fermé, immuable à jamais, satisfait de soi, nous n’en avons pas ; nous préférons le mouvement, le progrès et la vie au repos ; nous estimons qu’au lieu d’être fixé à un rocher il vaut mieux avoir, sinon des ailes, au moins des pieds pour aller à la découverte de nouveaux espaces. Mais, si l’on entend par doctrine un ensemble d’opinions scientifiques et de conjectures métaphysiques formant un tout lié en ses diverses parties, déterminé en son essence, quoique toujours ouvert, toujours progressif et ayant le plus de « fenêtres » possible « sur le dehors », nous croyons alors (pour parler seulement du point qui nous occupe) que la synthèse du naturalisme et de l’idéalisme par les idées-forces mérite de s’appeler une doctrine et même, bonne ou mauvaise, une doctrine propre. En tout cas, nous n’avons à aucun degré l’indifférence du scepticisme qui accueille tout favora-

  1. Critique philosophique du 8 mai 1879, page 209.
  2. Introd. à l’Histoire de la philosophie.