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sent tous ses produits. Souhaiter qu’elle nous revienne, afin de jouir encore de ses fruits, est aussi vain qu’insensé, parce que, le jour où nous comprenons que les fruits ont mûri en nous-mêmes, nous arrivons à la source vraie et directe de ce que nous avions cherché et trouvé auparavant par une voie détournée. La philosophie spéculative de la religion ne supprime pas complètement le culte, mais seulement ses formes extérieures ; elle ne détruit pas le mystère religieux, mais elle le réduit au mystère de tous les mystères, à l’immanence de l’absolu. Ce qu’il est impossible de comprendre, c’est que Pfleiderer parle encore du mystère de la mort du Christ, puisque, d’après sa doctrine, la mort de Jésus n’est pas plus mystérieuse et ne nous touche pas plus que la mort de tout autre homme pieux.

Pfleiderer fait à tout égard de vains efforts pour nous faire accepter l’image idéale symbolique du Christ, car, d’après ses propres hypothèses, elle est devenue, grâce au principe intellectuel immanent de la délivrance, tout aussi inutile qu’inefficace. Si un symbole de cette espèce, se rattachant à une figure historique, succombe sous les contradictions de cette alliance, il peut encore moins subsister comme symbole idéal, sans lien avec l’histoire et planant tout à fait dans le vague, car il est uni d’une façon si étroite et si indissoluble au Jésus historique que son maintien est tout à fait impossible en dehors de cette union. Celui qui a conscience du principe immanent de la délivrance sous sa forme intellectuelle écartera le symbole comme une superfétation fantaisiste, féconde en erreurs ; celui, au contraire, qui désire une forme représentative du principe pour satisfaire son besoin religieux, ne se contentera pas d’une personnification symbolique ; il exigera une personnification réelle pour honorer le libérateur personnel dans le principe personnifié de la délivrance ; il ne pourra pas non plus se passer d’une expression représentative du processus de la délivrance dans le sens de la théorie de la satisfaction. Si le désir d’une forme représentative des idées religieuses est assez légitime pour permettre d’avoir recours à des fictions contradictoires, c’est chose tout à fait arbitraire que de poser une limite dans cette direction, et la même observation s’applique à la tentative de justifier de pareilles fictions par leur prétendue utilité pédagogique.

À l’un et à l’autre point de vue, le protestantisme spéculatif se trouve dans une fausse position, tout comme le protestantisme libéral ; il doit ou bien se contenter de la conception intellectuelle du principe de l’immanence, ou, s’il trouve celle-ci insuffisante et reconnaît la nécessité d’une personnification, il doit rejeter ce principe panthéiste de la délivrance propre et retourner à la doctrine théiste,