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baudouin. — histoire critique de jules césar vanini

termes mêmes de l’approbation, on est porté à se demander si les deux docteurs avaient bien tout dit. Le 22 mai, au moment où ils donnaient le permis d’imprimer, ils étaient évidemment très prévenus en faveur de Vanini. Leur bienveillance à son endroit se traduit par des superlatifs qui ne sentent pas leurs censeurs. Avant même de célébrer le livre de la façon qu’on a vue, ils commencent par louer l’auteur, qu’ils donnent au public pour un philosophe très éminent. S’ils n’avaient fait que l’entrevoir, ainsi que leur déclaration voudrait le faire entendre, l’auraient-ils favorisé d’une recommandation que les seuls mérites des Secrets de la nature, môme à l’état orthodoxe, leur auraient difficilement suggérée ? On croirait plutôt qu’ils avaient vu Vanini assez souvent pour se laisser enjôler par ce beau diseur. Mais il est plus probable encore qu’ils avaient subi bourgeoisement l’ascendant des hommes de cour qui patronnaient le philosophe, et qu’ils avaient voulu se rendre agréables, en parlant comme les grands seigneurs de ce favori des grands seigneurs. Il fallait bien d’ailleurs qu’ils sentissent qu’ils avaient affaire à forte partie ; à la manière dont leur déclaration est rédigée, on devine qu’ils s’étaient étudiés à ne blesser personne. Quelque irrités qu’ils pussent être, aucune vivacité de langage ne trahit leur ressentiment. En ce temps-là, dans une pareille cause, chez des hommes de leur état et si fâcheusement compromis, tant de mesure n’est pas naturelle.

Au reste, ils n’en furent pas quittes pour expliquer comment ils avaient été trompés. Ils durent encore désavouer et condamner expressément les passages interpolés que leurs signatures semblaient autoriser. Il paraît toutefois qu’on les laissa libres de donner à ce désaveu le tour le moins pénible pour leur amour-propre. Ils sont censés l’avoir fait de leur propre mouvement. Ils le terminent en suppliant la Faculté de leur en donner acte et d’en ordonner l’inscription sur ses registres. Mais là encore un mot leur échappe qui révèle leurs appréhensions : ils ont besoin de cela, disent-ils, pour empêcher plus facilement qu’un si mauvais livre soit répandu davantage avec leur approbation.

Ainsi, pour les deux censeurs, si intéressés à la suppression d’office des Secrets de la nature, cette suppression n’allait pas de soi. Ils se voyaient obligés pour l’obtenir à faire des démarches en haut lieu, et ils n’étaient pas bien sûrs que des hommes puissants, celui par exemple à qui le livre était dédié, Bassompierre, ne viendraient pas se jeter à la traverse. Dans la pensée qu’ils auraient à plaider leur cause, ils mettaient dans leur dossier, pour s’en servir comme d’un argument suprême, un extrait des registres de la Faculté. Mais c’était déjà une précaution inutile. Depuis le 22 mai, de grands chan-