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baudouin. — histoire critique de jules césar vanini

paraître connu. Il allait y être le jouet de mille fausses apparences, y retrouver à peu près tout ce qu’il avait vu à la Cour, mêmes semblants de mœurs et d’usages ; chez les jeunes gens en particulier, même intempérance de passions, mêmes velléités d’irréligion, mêmes audaces dans le discours. Seulement, tandis que les esprits forts de Paris étaient des seigneurs de la plus haute naissance qui abritaient sous leur grandeur les penseurs indépendants leurs familiers, ceux de Toulouse étaient de lignée parlementaire. La justice, paternellement, laissait dire « ces jeunes folastres », gentilshommes de robe, magistrats par destination, que la robe tôt ou tard devait assagir : mais, pour les autres qui s’émancipaient avec eux, elle ne se trouvait pas d’entrailles. Vanini ne sentit jamais cette différence : il ne fit pas réflexion qu’il n’était pas de la famille. Au contact de ses compagnons de plaisir, il laissa s’amorcer sa veine d’incrédulité, et, quoique pour donner le change il s’affublât de temps à autre du manteau du théologien, il ne se souvint pas assez qu’il se trouvait dans la ville de Cadurque et de Boissonné.

Disgrâce à part, rien n’empêche d’admettre que, sur la recommandation d’un régent de l’Université, le signor Pompeïo soit allé demeurer, comme on l’a dit, chez un jeune conseiller, de ceux-là peut-être dont La Roche Flavin a peint le relâchement ; mais, en tout cas, il n’y fit pas long séjour. Comme on l’avait mis à la mode, le bruit de sa science et de son esprit arriva aux oreilles du comte de Caraman, à qui il pouvait plaire par tant de côtés. Ce seigneur voulut le voir, et, l’ayant vu, le retint à son service pour être le précepteur de l’un de ses neveux[1]. Peut-être lui donna-t-il encore un autre emploi, au moins aussi approprié à ses aptitudes et certainement plus conforme à ses goûts. Au bas d’un mémoire des dépenses de sa maison, signé de l’abbé Goudelin, frère ou cousin du poète, on voit que ce « comte de qui l’esprit pénétrait l’Univers[2] » avait, en mars 1618, un astrologue qui le suivait à cheval dans ses déplacements[3]. Qui sait si cet astrologue n’était pas Vanini, si versé dans l’élude des maisons du ciel et qu’on a vu si tourmenté des menaces de son horoscope ? Qu’on rejette si l’on veut cette conjecture, il n’en reste pas moins qu’Adrien de Monluc et le signor Pompeïo, son serviteur, croyaient également à l’influence des astres. Et cette foi commune put bien contribuer, plus que toute autre cause,

  1. Histoire véritable du docteur Vanini, nommé Luciolo, bruslé tout vif le quaresme dernier à Tholose, p. 7 (Bibliothèque de l’Arsenal, H, 19,363). Voir aussi Zeiler traducteur allemand des Hist. trag. de Rosset, p. 956-958 (Bibliothèque de Berlin, Xx, 3616.)
  2. Régnier, satire II. le comte de Garamain.
  3. Archives de la Haute-Garonne, E, 48, papiers de Caraman.